La façade du Château qui domine les jardins de Versailles prend l’exact contrepied de celle côté ville, suscitant autant de louanges que la première de critiques. Jeu de miroirs assez fascinant que permet la somme de témoignages réunis dans la base de données « Visiteurs de Versailles », publiée par le Centre de recherche du château de Versailles.
Bien que cela ne corresponde pas nécessairement à leur parcours de visite, les voyageurs commencent souvent le récit de leur passage à Versailles par l’évocation du Château et de ses façades. Cette description se construit en diptyque, opposant celle côté ville, confuse, bigarrée, déséquilibrée, à celle côté jardins, plus uniforme, plus classique, plus harmonieuse, notamment après la construction de l’enveloppe de Le Vau (1668-1670) et de la Grande Galerie (achevée en 1684).
« Rien ne peut être plus vaste et plus magnifique »
Thomas Gray, extrêmement critique vis-à-vis de la première, qu’il voit comme le plus « désagréable tout-ensemble », est à l’inverse subjugué par la seconde, en 1739 : « là, la situation est bien différente ; rien ne peut être plus vaste et plus magnifique ».
Les raisons sont nombreuses d’admirer le Château depuis la terrasse. « Très noble et finement achevé » pour Alban Butler (1744), « très grand et régulier » pour Thomas Bentley (1776), il présente de ce côté une structure « tout en pierre taillée », avec un « nombre de statues, de figures, de vases, etc. en marbre et en bronze, d’une facture exquise [qui] dépasse l’entendement », pour reprendre les mots de Benjamin Franklin (1767).De la déception à l’admiration
Le décalage stylistique, esthétique et architectural surprend même parfois. Ainsi, en 1738, Sacheverell Stevens avoue que la façade occidentale « invite largement à revoir votre déception première, à l’arrivée depuis Paris ». De même en 1788 pour George Monckton qui, après avoir exprimé son scepticisme vis-à-vis de la façade orientale, insiste sur l’effet saisissant que provoque son opposée : « elle ne peut que frapper chaque visiteur d’une impression d’étonnement et d’admiration ».
Le militaire suédois Mikael Hisinger, en 1784, ne mâche pas ses mots pour exprimer son enthousiasme : « Lorsqu’on se tient en bas dans le jardin et qu’on regarde vers le château, il apparaît dans le vaste bâtiment quelque chose de grand qui ne peut s’exprimer, une façade de 300 toises décorée de statues, de trophées, de têtes d’hommes et de femmes. Tout ceci crée la plus belle façade du monde ».
« Une colombe à ailes d’aigles »
Cette admiration générale n’empêche pas quelques critiques : elles concernent notamment la disproportion du bâtiment entre, d’un côté, des ailes trop longues au nord et au sud et, d’un autre côté, leur retrait par rapport à un corps central relativement bas. Reprenant une comparaison attribuée à Pierre Le Grand, plusieurs voyageurs y voient ainsi « une colombe à ailes d’aigles » (Heinrich F. Storch en 1786).
Thomas Bentley, d’abord conquis, conclut sa description sur une note négative : pour lui, la façade « n’est pas une bonne composition. Il manque quelque chose à la fois au milieu et aux extrémités pour la rendre vraiment noble ». L’architecte George Tappen, venu en 1802, est plus précis : « l’effet aurait été plus imposant et majestueux avec un étage supplémentaire ». Pour y remédier, Henry Digby Beste (1824) signale que Napoléon Ier aurait même eu le projet d’ériger une grande colonnade ou un portique.
Mais pour Thomas Broderick, tout est – littéralement – une question de point de vue : « lorsque l’on voit la façade depuis le jardin, à n’importe quelle distance, elle semble proportionnellement trop basse par rapport à son étendue ; […] mais en s’approchant du bâtiment, l’ensemble paraît vraiment proportionné ».
C’est ainsi que, sous le Second Empire encore, l’on retient de cette façade sa grandeur, donnant au Château toute sa splendeur : « là, on commence à se rendre compte de ses immenses proportions, et on ne s’étonne pas qu’il soit l’objet d’une telle fierté et d’une telle admiration de la part du peuple français, car, au-delà de ses souvenirs historiques, il est sans conteste le plus grand et le plus imposant de tous les palais de France » (James D. McCabe, 1869).
Flavie Leroux,
Chercheuse au Centre de recherche du château de Versailles
À LIRE ÉGALEMENT
- Sur l’enveloppe de Le Vau, Jean-Claude Le Guillou, « Le château neuf ou enveloppe de Versailles. Conception et évolution du projet, automne 1668-été 1670 », Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°8, 2005, p. 112-133 (en ligne).
- Sur la Grande Galerie, La galerie des Glaces. Histoire et restauration, Dijon, Faton, 2007.
- Béatrix Saule, inventaire « Versailles décor sculpté extérieur », château de Versailles / Réunion des musées nationaux, 2005 (en ligne).
La base de données « Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, Versailles fantasmé, Versailles détesté.