Comment les châteaux-musées tels que celui de Versailles
se protégèrent-ils durant la Seconde Guerre mondiale ? Un colloque organisé les 3 et 4 juin dernier à l’auditorium du Château a permis de réunir un certain nombre de réponses se concentrant sur le territoire formé par l’actuelle Île-de-France.
Les châteaux-musées franciliens constituèrent des zones de protection stratégiques durant la dernière guerre. Bénéficiant de mesures spécifiques, ces ensembles patrimoniaux furent l’objet d’attentions bien particulières durant les six années de conflit. Ce colloque a été l’occasion de retracer des événements peu connus, voire totalement méconnus pour certains châteaux et musées, répartis dans les anciens départements de la Seine, de la Seine-et-Oise, de la Seine-et-Marne, et dans des espaces géographiques limitrophes, comme Chantilly et Compiègne. Nombre de ces monuments étaient d’anciennes résidences royales et impériales, certains utilisés comme lieux de réception et de résidence présidentiels. À partir de nombreuses études de cas, représentant autant d’enquêtes de terrain, ces deux journées ont contribué à revenir sur une histoire commune à bien des institutions.
Une mise à l’abri
des chefs-d’œuvre
On a pu ainsi découvrir les mesures de protection individuellement mises en place, destinées aussi bien aux monuments qu’aux collections, restées in situ ou mises à l’abri en dehors des zones supposées de conflit. Les éléments architecturaux et décoratifs les plus fragiles furent ainsi calfeutrés sous des sacs de sable. Quant aux chefs-d’œuvre, on les évacua dans des dépôts (principalement des châteaux), constituant des sortes de musées en caisses, comme Chambord, Valençay et d’autres monuments de l’ouest de la France. De la célèbre Vénus de Milo du musée du Louvre jusqu’aux moutons Mérinos de la Bergerie nationale de Rambouillet, en passant par le bureau ayant servi en 1919 à la signature du traité de paix dans la galerie des Glaces du château de Versailles, tous prirent le chemin de l’exode durant plusieurs années. Ces dispositions touchèrent aussi bien des châteaux-musées que des maisons-musées, à l’exemple du musée Nissim de Camondo dont les précieuses collections furent dispersées entre plusieurs lieux, notamment à Cheverny et à Brissac.
Bilan positif pour ces monuments et leurs collections
En conclusion de ce colloque, une évocation de la protection patrimoniale à l’échelle européenne a élargi le panorama à un contexte plus général en abordant la question des garanties offertes par le droit national et international, comme au regard des destructions massives perpétrées par l’aviation dans certaines régions. Même s’il est difficile aujourd’hui de juger de la pertinence, et surtout de l’efficacité des dispositifs de défense mis en place à l’époque, il a été particulièrement éclairant de les examiner à l’aune de nos connaissances actuelles en matière de muséologie. Du point de vue de la préservation, le bilan demeure largement positif pour ces monuments, en grande partie préservés, à l’exception de quelques exemples tragiques, comme l’illustre l’anéantissement du pavillon de la Reine au château de Vincennes à l’été 1944. De la même manière, les collections nationales évacuées sont rentrées progressivement dans leurs lieux de conservation sans avoir subi de dommages particuliers.
Une protection décuplée à Versailles
À bien des égards, ce premier bilan a permis d’évoquer le rôle de chacun, de l’occupé, de l’occupant – qui intervint officiellement en cette voie par l’intermédiaire du service de protection des œuvres d’art (Kunstschutz) – comme des armées alliées. Il a aussi contribué à montrer qu’il s’agissait d’une protection à volumétrie variable et combien la défense du patrimoine versaillais s’était révélée exceptionnelle. Fermés au public le 26 août 1939, le château de Versailles et ses célèbres jardins se métamorphosèrent en quelques semaines avec la mise en œuvre des mesures de défense passive définies tout au long des années 1930. Pour le palais, on retiendra l’obturation de très nombreuses fenêtres par un empilement de sacs de sable et des panneaux de bois, le démontage et la mise en dépôt de nombreux décors historiques, l’évacuation des collections du musée en région, etc. Les jardins furent également l’objet de transformations importantes, comme l’assèchement du Grand Canal, le calfeutrage de sculptures, l’installation d’abris pour le personnel…
En raison de son symbole et du Diktat qu’il incarnait outre-Rhin, Versailles bénéficia d’une protection hors norme, mal comprise par le public français qui se vit privé de ses trésors, tout comme par l’occupant allemand, qui jugea de façon assez critique l’ampleur des restaurations nécessaires à sa remise en état d’avant-guerre. Le 1er juin 1941 – soit presque un an après son invasion – le musée national du château de Versailles retrouvait un semblant de vie en rouvrant une vingtaine de salles dans l’aile Nord du palais.
Réflexion inédite,
à une échelle territoriale
Si des études individuelles, monument par monument, avaient été menées jusqu’à ce jour, elles ne s’étaient jusqu’alors pas ou peu focalisées, de façon globale, sur un territoire. Le choix porté sur une région resserrée, proche de Paris et en zone occupée, et sur une typologie patrimoniale bien définie, à savoir les châteaux-musées, a rendu la perspective particulièrement intéressante. On ne peut que souligner le caractère inédit de bien de ces recherches, exposées pour la première fois dans ce colloque, notamment concernant les châteaux de Rambouillet, de Champs-sur-Marne, de Saint- Germain-en-Laye, de Fontainebleau, de Sceaux et de Malmaison.
Claire Bonnotte Khelil,
collaboratrice scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Ce portfolio est extrait des Carnets de Versailles n°19 (novembre 2021 – mars 2022).
À SUIVRE
sur la chaîne YouTube du Centre de recherche du château de Versailles
Les châteaux-musées franciliens et la guerre :
une protection stratégique (1939-1945)
Colloque organisé les 3 et 4 juin 2021
par le château de Versailles et son Centre de recherche (CRCV).
Direction scientifique : Claire Bonnotte Khelil.
Ses actes seront publiés cette année aux éditions Hermann, en coédition avec le château de Versailles.