Quand un portrait austère, de noir vêtu, dévoile ses dessous grâce à l’imagerie scientifique, c’est une autre figure qui surgit du passé, et une légende qui prend une autre tournure.
Au début de l’été 1688, madame de Maintenon accepte de poser pour un peintre afin d’offrir son portrait à Saint-Cyr, la maison d’éducation pour jeunes filles pauvres de la noblesse qu’elle a fondée deux ans plus tôt au bout du parc de Versailles. La restauration de ce célèbre tableau, aujourd’hui conservé au Château, nous permet d’entrer pour la première fois dans les coulisses d’une tumultueuse commande…
Le fantôme d’une robe de cour
Après s’être fait longuement prier par les dames de Saint-Cyr, madame de Maintenon décide de confier son portrait à un peintre réputé, Louis Elle le Père, dit Ferdinand (1612-1689) : sans doute souhaite-t-elle de cette façon récompenser la récente conversion au catholicisme de l’artiste, ancien protestant, et encourager son fils, lui aussi portraitiste, à faire de même. Il s’agit pour Louis Elle d’un immense honneur, et d’une véritable responsabilité. Il se voit accorder des séances de pose, pendant lesquelles il peint la marquise sur une toile rectangulaire, qu’il agrandit ensuite sur chacun de ses quatre côtés afin d’obtenir un grand format : ces coutures sont encore visibles de nos jours.
Jusqu’à la restauration du tableau, entreprise au début de l’année 2021, tout laissait à penser que madame de Maintenon avait dès l’origine souhaité être représentée en robe noire. L’imagerie scientifique, élaborée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), a montré qu’il n’en était rien. Une radiographie, notamment, révèle que la marquise avait dans un premier temps choisi d’apparaître dans une robe de cour à la mode, décolletée et ornée de dentelles1, avec plusieurs bijoux. Elle ne portait vraisemblablement pas de coiffe et la petite fille que nous voyons aujourd’hui ne faisait pas encore partie du tableau.
Question de statut ou de modèle ?
On ignore quand et pour quelles raisons l’épouse de Louis XIV a décidé de modifier la composition de l’œuvre, alors que Louis Elle avait déjà achevé la robe initiale. Celle finalement représentée paraît liée aux fonctions de seconde dame d’atour de la dauphine qu’exerçait la marquise à la Cour. Il ne saurait être ici question de mode, discipline pour laquelle celle-ci professait une certaine indifférence : ce changement semble plutôt relever de la politique et de l’éducation. Femme au statut social ambigu, madame de Maintenon a-t-elle jugé qu’il n’était pas convenable d’apparaître dans une robe susceptible de donner lieu à la moindre interprétation sur sa position réelle à la Cour ? Désireuse de s’ériger en modèle aussi bien pour les dames que pour les petites filles de Saint-Cyr, elle pourrait aussi avoir estimé qu’il était préférable de ne pas poser devant elles dans une tenue trop luxueuse.
L’apparition d’une fillette
Contemporain du changement de robe, l’ajout sur la toile du portrait de la nièce de la marquise, alors âgée de quatre ans, participe de ce nouveau projet de représentation. Madame de Maintenon, en effet, se passionne pour cette petite fille, unique enfant légitime de son frère, au point d’écrire à ce dernier, moins de trois semaines après la naissance : « Dites à la nourrice que c’est mon héritière qu’elle nourrit. » Portant les mêmes nom et prénom que sa tante, une habitude fréquente au Grand Siècle, la fillette est conduite à la Cour peu après son sevrage afin d’y être élevée en vue d’un futur mariage prestigieux. La radiographie montre pourtant qu’elle n’était initialement pas représentée sur le portrait : le peintre l’a rajoutée, dans un espace de fait relativement étroit. L’enfant est revêtue d’un somptueux costume de cour qui, associé à sa coiffure montante, la vieillit considérablement. Mais le ruban rouge enroulé dans ses boucles brunes pourrait faire allusion aux plus jeunes élèves de Saint-Cyr, âgées de cinq à dix ans, dont la classe était identifiée à l’aide de cette couleur.
Comme pour le changement de robe, les raisons de l’apparition de la jeune Françoise d’Aubigné ne peuvent être établies en toute certitude. Toutefois, l’affection de madame de Maintenon pour sa nièce et son souci d’assurer son avenir n’en sont sans doute pas les seules explications. Sa présence, en effet, met en valeur la générosité de sa tante, qui l’élève au même titre que les deux cent cinquante pensionnaires de Saint-Cyr.
Place aux couleurs
La robe de cour de la marquise, à la fin de la restauration, ne sera toujours pas visible : c’est la dernière version de l’œuvre qui doit primer, ainsi que l’ont voulu l’artiste et son modèle. En revanche, le nettoyage de la peinture, obscurcie par un vernis que le temps avait rendu terne, a révélé des couleurs que nous n’étions plus en mesure de discerner depuis longtemps. Si madame de Maintenon est bien vêtue de noir, le décor qui l’entoure est loin d’arborer les mêmes teintes : son fauteuil est violet, tout comme le carreau sur lequel elle appuie sa main. Sa nièce est vêtue d’ivoire et non de jaune, et toutes deux posent devant une draperie grise. Enfin, le ciel au-dessus de Saint-Cyr est nuageux, mais bleu, et ne baigne pas dans une lumière crépusculaire.
« La révélation de la robe initiale et le retour des couleurs telles qu’au XVIIe siècle nous permettent de poser un regard entièrement différent sur ce chef-d’œuvre des collections versaillaises. »
C’est donc toute une partie de l’interprétation du tableau qui se trouve modifiée par cette restauration. Ainsi, Jules Michelet pensait que la marquise avait été représentée portant le deuil de la reine Marie-Thérèse. Ce « funèbre portrait », commémorant « l’entrée » d’une « douteuse figure dans le lit d’une morte »2, selon ses mots, a contribué à la légende noire de madame de Maintenon. La révélation de la robe initiale et le retour des couleurs telles qu’au XVIIe siècle nous permettent de poser un regard entièrement différent sur ce chef-d’œuvre des collections versaillaises.
Élodie Vaysse,
conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1 Des analyses scientifiques, encore à mener, permettront peut-être de connaître la couleur de ce premier vêtement.
2 J. Michelet, Histoire de France, t. XII, p. 255-257.
Ce portfolio est extrait des Carnets de Versailles n°19 (novembre 2021 – mars 2022).