Après l’exposition Les Animaux du Roi, les plombs du Labyrinthe sont aujourd’hui présentés de façon pérenne dans la salle des Hoquetons, au cœur du château. Ces vestiges témoignent des fontaines qui ponctuaient l’extraordinaire bosquet, aujourd’hui disparu, conçu par André Le Nôtre.
« Entre tous les bocages [bosquets] du petit Parc de Versailles, celui qu’on nomme le Labyrinthe est surtout recommandable par la nouveauté du dessein, et par le nombre et la diversité de ses fontaines. Il est nommé Labyrinthe parce qu’il s’y trouve une infinité de petites allées tellement mêlées les unes aux autres, qu’il est presque impossible de ne s’y pas égarer ; mais aussi afin que ceux qui s’y perdent, puissent se perdre agréablement, il n’y a point de détour qui ne présente plusieurs fontaines en même temps à la vue, en sorte qu’à chaque pas on est surpris par quelque nouvel objet. »
Ainsi débute l’introduction du Labyrinthe de Versailles, publié par l’Imprimerie royale en 1677, un texte attribué à Charles Perrault, considéré aujourd’hui comme le principal concepteur du Labyrinthe. La parution d’une véritable monographie illustrée, dotée non seulement d’un plan mais de quarante vues gravées – qui figurent l’entrée, avec les statues d’Ésope et de l’Amour, et chacune des trente-neuf fontaines illustrant des fables d’Ésope –, n’est pas la moindre des singularités du Labyrinthe de Versailles dans l’histoire des jardins.L’apparition du Labyrinthe
sur les plans
Sur un plan général de la bibliothèque de l’Institut que l’on date de 1663, la parcelle trapézoïdale du futur bosquet du Labyrinthe est déjà identifiable par la découpe des allées périphériques, mais simplement boisée. En revanche, le dessin des allées internes du Labyrinthe fait son apparition dans un plan des petit et grand parcs conservé à la Bibliothèque nationale1 et daté entre 1663 et 1665 qui pourrait provenir de l’agence de Le Nôtre.
À partir de 1666, le bosquet du Labyrinthe se voit doté de premiers aménagements hydrauliques, mais ce n’est qu’en 1672 qu’interviendra la mise en place d’un décor sculpté, avec d’abord de petits dauphins, puis, en 1673, des fontaines dotées de groupes sculptés en plomb, dus à une vingtaine d’artistes différents. La même année, les Comptes des Bâtiments du roi enregistrent au sujet du Labyrinthe des paiements pour des travaux de plantation de bordures de buis et, surtout, de réalisation de treillages au jardinier Jean Collinot, dont c’était la spécialité, ainsi qu’à un certain Boisselier.
Pour la délectation du promeneur,
non pas la satisfaction du dessinateur
L’innovation la plus frappante, qui constitue en soi une rupture quasiment inédite avec une tradition plurimillénaire, c’est que le Labyrinthe ne possède pas de centre. Sa composition ne s’inscrit pas non plus dans une trame géométrique régulière. Le plan ne vise pas à générer une certaine harmonie d’ensemble, effet pourtant recherché la plupart du temps : l’une des dimensions inhérentes au symbole plurivoque du labyrinthe repose sur le contraste entre le plaisir visuel procuré par sa contemplation d’un point de vue « transcendant » et la difficulté fastidieuse que suppose l’expérience de son parcours d’un point de vue « immanent », selon une certaine dialectique entre maîtrise et confusion, ordre et chaos.
Habituellement, la virtuosité de la composition consiste également à ménager le plus long cheminement possible dans une surface donnée, impliquant chez le visiteur une sorte d’« effet de couloir » – selon le vocabulaire actuel des jeux vidéo –, c’est-à-dire le sentiment frustrant de ne pouvoir faire autrement que d’avancer entre deux parois parallèles et, du fait de continuels virages, de « tourner en rond », complètement désorienté. Ici au contraire, les bifurcations s’avèrent fondamentales et, à partir de 1673, elles sont dotées des fontaines qui invitent à autant de pauses. C’est ce qu’indique la Description sommaire du chasteau de Versailles d’André Félibien (1674) : « Si l’on se trouve embarrassé par le choix qu’on doit faire de ces différentes routes, l’on est agréablement occupé par la quantité des fontaines et des jets d’eau qui s’y rencontrent. »
Cette expérience relativement antinomique – s’égarer de manière plaisante – est rendue possible par un tracé qui donne à la perception de l’observateur la primauté sur la conception géométrale, tout à fait représentatif du travail d’André Le Nôtre et de sa « pratique perspective ». Au niveau spatial, le topos du labyrinthe a donc donné lieu à une complète réécriture, qui permet d’éviter l’ennui d’une déambulation monotone. Cette réécriture repose sur la fusion entre deux catégories qui avoisinaient et commençaient à s’hybrider dans les traités de Claude et André Mollet : celles du bosquet et du dédale.
Un décor de fontaines au dessein encore mystérieux
Le déploiement d’un très abondant décor, avec une quarantaine de fontaines répondant à un programme iconographique très développé, offre l’autre grande originalité du Labyrinthe, dont l’idée fut peut-être décidée dans un second temps et les détails conçus de manière plus ou moins collective. On s’est beaucoup interrogé sur son éventuelle fonction pédagogique, à partir d’une mention tardive (1699) et plutôt ambiguë par un voyageur britannique de son usage ad usum Delphini (« à l’usage du Dauphin »), certaines lectures proposant de décrypter dans le bosquet une représentation topographique des qualités morales, en relation avec la tradition rhétorique des arts de la mémoire et la vogue des cartographies sentimentales promue par la préciosité. Une hypothèse suggère aussi que « Le Nostre » ait signé sa composition en traçant les allées à partir des lettres de son nom.
Notons simplement que ces diverses fontaines, annotées des quatrains d’Isaac de Benserade, non seulement permettaient au promeneur de se trouver « agréablement occupé », mais lui fournissaient également un salutaire système de repérage au cours de son errance potentiellement indéfinie. En réalité, un itinéraire fixe, repéré sur de nombreux plans gravés, semble s’être imposé assez vite… Si le Labyrinthe a disparu, remplacé sous Louis XVI par le bosquet de la Reine, les trente-cinq animaux sculptés qui subsistent aujourd’hui témoignent de son faste et de son étrange poésie, qui n’était pas sans lien avec l’univers féerique des grottes de la Renaissance.
Hervé Brunon,
historien des jardins et du paysage, directeur de recherche au CNRS
1 Département des Estampes, Va 448b, format 6.
À VOIR
Les plombs du Labyrinthe, en visite libre
Salle des Hoquetons