Chairs à vif, silhouettes affaissées, infiltrations et fissures… les sujets en plomb doré d’Apollon sur son char, au centre du bassin d’Apollon, appellent des soins urgents. Le groupe sculpté part en restauration pour être prêt à entraîner dans sa fougue les épreuves équestres, qui se tiendront dans le parc de Versailles, des Jeux olympiques 2024.

La figure d’Apollon au centre du bassin à son nom, un jour de Grandes Eaux. © EPV / Thomas Garnier

La Grande Perspective perd une étoile : au pied du Tapis vert, le bassin d’Apollon va accuser un vide béant. Le quadrige du dieu-soleil se serait-il enfin dégagé du tumulte des flots pour prendre son envol ? Il n’en est rien. Abîmé par le ruissellement des eaux, perclus de mousse et de sédiments, et près de crouler sous son propre poids, le groupe a fait l’objet d’un examen minutieux qui le conduit en restauration, à l’issue de la saison des Grandes Eaux, jusqu’au printemps 2024.

Le groupe en plomb doré d’Apollon sur son char, au centre du bassin d’Apollon, vu du ciel. © EPV / Thomas Garnier

Dans l’axe du Grand Canal, un chef-d’œuvre de Jean-Baptiste Tuby

Fondu par Jean-Baptiste Tuby (1635-1700) d’après un dessin de Charles Le Brun entre 1668 et 1670 à la manufacture des Gobelins, acheminé à Versailles où il fut doré par Jacques Bailly en 1671, Apollon sur son char figure le lever du jour saisi dans un formidable élan vers le ciel. Emporté par quatre chevaux, accompagné d’un amour, de quatre dauphins et de quatre tritons, le dieu apparaît dans toute sa gloire, couronné de reflets irisés – hommage délicat de l’eau à la lumière… Une galanterie qui ne saurait faire oublier l’érosion extrême de ces œuvres exposées au martèlement des eaux vives.

Détail des chevaux d’Apollon, dégradés par les eaux et le temps. © EPV / Thomas Garnier

Blessures du temps

Sous l’assaut des jets, les figures ont perdu le doux éclat de leur dorure au profit d’une teinte rubigineuse, ci et là veinée du gris triste d’anciennes soudures. Les corps s’écaillent jusqu’au plomb, dans une mise à nu qui révèle les strates d’une longue succession d’interventions par les peintres-doreurs, du premier Versailles à nos jours. Remarquables par leur ardeur, les chevaux courbent pourtant l’échine sous le poids de leur tête, dépourvue d’armatures internes – faiblesse aggravée par leur disposition en porte-à-faux au service du dynamisme recherché par Tuby. Apollon et son cortège de créatures marines ne sont d’ailleurs pas épargnés par ce basculement, qui a pour autre conséquence la déviation et la déformation des jets d’eau, autrefois dirigés vers le ciel.

Mise en place d’une passerelle traversant le bassin pour atteindre le groupe sculpté et démonter ses différentes composantes en vue de leur restauration. © EPV / Didier Saulnier

Afin de pallier ces défaillances structurelles, ponctuellement traitées par des restaurations successives dont la dernière remonte à 1981, cette opération prévoit un traitement de fond aussi bien sur les sculptures que sur le support maçonné. Sous l’œil attentif des équipes du château de Versailles et de l’architecte en chef des Monuments historiques Jacques Moulin, les treize figures qui composent le groupe s’apprêtent à être démontées, grutées hors du bassin et acheminées en atelier où l’on s’attellera à leur rendre éclat et prestance, loin des rigueurs de leur environnement.

Jeanne Mogis,
chef de projet éditorial au château de Versailles

La restauration du bassin d’Apollon et de ses abords est rendue possible grâce au mécénat du groupe CMA CGM.

Apollon sur son char au pied du Tapis vert, vu depuis le Grand Canal. © EPV / Thomas Garnier