Parmi les fontaines les plus éloignées du domaine de Trianon, le Buffet d’eau se dresse à l’extrémité d’une allée. Il faudra s’y rendre pour admirer ce véritable monument d’inspiration italienne, unique en son genre, auquel sa restauration est en train de rendre toute sa brillance.
La restauration d’une œuvre est toujours l’occasion d’un regard nouveau, et le Buffet d’eau de Trianon n’a pas échappé à la règle. L’histoire du monument semblait connue. En 1682, Louis XIV avait commandé des fontaines pour les extrémités de l’allée qui marquait la limite nord des jardins du Trianon de porcelaine. Elles prirent la forme de cascades en gradins revêtues de carreaux de faïence et portant des vases dorés ou peints. L’eau jaillissait des vases et s’écoulait dans les bassins successifs dans une fantaisie joyeuse d’éclaboussures et de couleurs.
Quand les marbres remplacent les carreaux
de faïence
Cinq ans plus tard, la construction du Trianon de marbre axa un de ses pavillons sur la même allée. La fontaine, qui tournait le dos au château, fut alors supprimée et son pendant remplacé par un ouvrage plus spectaculaire, dont la réalisation fut confiée à Jules Hardouin-Mansart. Pour s’accorder au nouveau château et dépasser le souvenir de l’ancienne cascade, foisonnante et polychrome, l’ouvrage fut conçu comme un Buffet d’eau tapissé de marbres rouge et blanc. Commandé en 1701 et terminé l’année suivante, il ne fut pas jugé pleinement satisfaisant. Le roi fit donc remplacer les dragons qui encadraient son dernier niveau par des lions, changer le déversoir central et ajouter sur les gradins quelques panneaux de brèche violette. Puis les sculptures furent dorées. En 1703, la nouvelle fontaine étincelait au bout de la principale allée du jardin et constituait l’amorce des allées du parc.
« D’un mauvais genre d’architecture »Passé de mode sous Louis XVI, au point que Jean-François Heurtier trouvait cette cascade
« d’un mauvais genre d’architecture et que si elle n’était pas faite, il ne faudrait pas la faire », le Buffet d’eau fut néanmoins conservé lors de la modification du jardin opérée en 1776 par Richard Mique. Sous l’Empire, comme ses fondations étaient insuffisantes, il fut consolidé par des cerclages métalliques. En 1892, une autre restauration conduite par l’architecte Marcel Lambert s’intéressa aux marbres et aux sculptures, consolida les maçonneries, mais enleva les cerclages métalliques sans pour autant reprendre les fondations.
Lorsque le mécénat de la Fondation Bru permit d’étudier l’ouvrage plus à fond, des solutions furent trouvées pour consolider ses fondations et ses maçonneries, puis le chantier imposa la dépose des sculptures. Les surprises furent à proportion de la qualité de l’ouvrage. L’examen rapproché des œuvres à la Fonderie de Coubertin, chargée de leur restauration, permit de constater leur qualité. Après l’enlèvement des vieux apprêts de dorure et le nettoyage des épidermes, les figures de Neptune et d’Amphitrite, les enfants tritons portant des vasques et les mascarons du premier gradin montrèrent une authenticité exceptionnelle.
Les interventions de la fin du XIXe siècle avaient donc été limitées aux consolidations internes et aux parties disparues, et s’étaient avérées particulièrement respectueuses des œuvres originales. Parallèlement, la dépose et le traitement en conservation des marbres effectués par l’Atelier Chevalier et l’entreprise SOCRA ont pu maintenir l’essentiel des matériaux d’origine et retrouver toutes leurs couleurs.
Dans cette opportunité d’analyse offerte par le chantier, il reste toutefois des interrogations. À propos du Buffet d’eau, les sculpteurs mentionnés par les comptes royaux sont nombreux et on ignore comment ils se sont répartis. Si l’attribution de Neptune et d’Amphitrite à Corneille Van Clève est attestée et si les bas-reliefs du deuxième gradin ont pu être donnés à Louis Garnier, quel a pu être l’auteur des superbes lions, qui semblent vivants, et celui des délicieux enfants tritons ? Un praticien confirmé, comme Simon Mazière, ou des artistes plus jeunes comme Robert Le Lorrain ou Jean-Louis Lemoyne ? Ce sont quelques-unes de questions évoquées avec le comité scientifique qui a été réuni pour les travaux et qui trouveront, peut-être, de prochaines réponses.
Jacques Moulin,
architecte en chef des Monuments historiques
La restauration du Buffet d’eau a été réalisée grâce au mécénat de la Fondation Bru.
L’alliance avec le plomb
L’équipe des fontainiers du château de Versailles a été très impliquée dans la restauration du Buffet d’eau. Jusqu’à plus de 6 mètres de hauteur, cet énorme massif, paré de quatre types de marbres différents, se décline sur quatre niveaux à travers vingt-trois effets d’eau. Les canalisations passent dans deux galeries logées dans son épaisseur qui atteint 12 mètres. « Nous avions beaucoup appris à travers de précédentes restaurations, relate Gilles Bultez, chef du service des Eaux et Fontaines, nous avions éprouvé des techniques anciennes pour travailler le plomb, obtenir les courbures nécessaires et apprendre à éviter la casse. » Le plomb, en effet, est un matériau souple, contrairement au marbre, et l’union des deux n’est pas sans risque.
« Mais, contrairement au bassin de Latone, où la pression de l’eau était régulée par une configuration en couronnes, le Buffet d’eau se déploie en ligne », ajoute Gilles Bultez. D’où les tâtonnements pour obtenir un juste débit qui forme une « lame » parfaite au long des parois. Ainsi, les marbres, tout à fait exceptionnels, de cet ouvrage seront-ils visibles sous l’eau, et magnifiés par ses éclats de lumière.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles