Le spectacle était toujours et partout à Versailles. Il tint une place prépondérante, et pourtant fragile : derrière l’unité apparente du théâtre se rencontre la multiplicité des genres, des usages, des destinataires même, et l’on rivalisa d’imagination pour trouver des solutions
qui ne durèrent pas.
Des théâtres de plein air aux théâtres portatifs
Entre les théâtres de plein air construits dans les jardins le temps d’une représentation et les projets d’une grande « salle des ballets », Louis XIV s’est, en définitive, contenté au château d’un lieu de spectacle conçu en toute hâte au fond de la cour des Princes lors de l’installation de la Cour. Le roi a également doté le Trianon de marbre d’un théâtre qui cédera plus tard la place au dernier appartement que le souverain s’y fera aménager.
Au XVIIIe siècle, Versailles ne connaît pas moins de six salles différentes : le théâtre de la cour des Princes (créé en 1682), le théâtre du Manège (1745-1751), le théâtre des Cabinets (1746-1749), l’Opéra royal (1770), le théâtre de la Reine à Trianon (1780) et le théâtre de l’Aile neuve (1786). À cet ensemble, on peut ajouter d’autres projets non réalisés – mais suffisamment documentés par les archives – comme celui d’un nouveau théâtre au Grand Trianon ou un autre qui se serait trouvé à la suite des cabinets du Roi, au deuxième étage du château. Mentionnons également les théâtres dits « portatifs », dont le nombre important – une douzaine, gérés par l’administration des Menus-Plaisirs – atteste une utilisation fréquente par la famille royale et son entourage immédiat dans les espaces les plus variés : première antichambre de la Reine, salon de la Paix, foyer de l’opéra, galerie et orangerie de Trianon…
Grandes ou petites salles : nécessité fait loi
Cette succession, ou parfois cette juxtaposition, de salles de spectacle s’explique par la variété des usages auxquels elles sont destinées. Les représentations ordinaires, données pour la distraction de la Cour, s’adressent à un public de trois cents à cinq cents personnes. Elles ont lieu plusieurs fois par semaine, en présence ou non de la famille royale. Pendant près d’un siècle, c’est le théâtre de la cour des Princes qui accueille ces spectacles, malgré son exiguïté et sa scène réduite.
À la veille de la Révolution, Louis XVI opte enfin pour la construction d’un nouveau théâtre dans le vaste espace vide de l’Aile neuve, prévu à l’origine pour accueillir un escalier monumental. Plus commode, mieux équipée, cette salle est cependant considérée, elle aussi, comme provisoire. En effet, les projets de reconstruction générale du château, qui se multiplient dans les années 1780, prévoient presque tous un transfert du théâtre côté sud, à la suite des appartements de la Reine. Or, aucun d’entre eux n’aboutira et la salle de l’Aile neuve, trop rapidement construite, sera détruite sous Louis-Philippe tandis que la salle de la cour des Princes aura disparu sous l’Empire.Parallèlement à ces théâtres réservés à la vie de cour, d’autres salles sont aménagées pour les divertissements privés des souverains, avec une jauge réduite : de quelques dizaines de spectateurs pour le théâtre des Cabinets, à quelques centaines pour le théâtre de Marie-Antoinette à Trianon. Aucune autre considération que le caprice du commanditaire n’est prise en compte dans le choix de l’implantation, l’aménagement ou la durée de vie de ces lieux de spectacle, où la frontière entre le provisoire et le définitif n’est pas toujours très nette. Le théâtre des Cabinets ou celui de Trianon sont nés de ces fantaisies : le premier est entièrement démontable ; le second, bien que pérenne et doté d’un espace scénique afférent, a recours à des matériaux qui relèvent des illusions des théâtres portatifs. Les deux ont également en commun un emplacement insolite : la Petite Galerie, puis la cage de l’escalier des Ambassadeurs pour l’un, un jardin pour l’autre.
Théâtres polyvalents
Pour l’extraordinaire, c’est-à-dire les grandes solennités occasionnées essentiellement par les célébrations dynastiques ou, sous Louis XVI, les réceptions de souverains étrangers, une salle suffisamment vaste est nécessaire pour accueillir un public qui dépasse largement les effectifs habituels de la Cour. Jusqu’à la mise en service de l’opéra, seules des constructions provisoires peuvent répondre à de tels besoins, et notamment le théâtre du Manège aménagé à la Grande Écurie en 1745. Cette salle somptueuse fut conçue pour servir, à la fois, aux représentations théâtrales et aux bals parés. En raison de ses proportions peu favorables à l’acoustique, et surtout de son emplacement à l’extérieur du château, elle disparaît en 1751.
Toutefois, elle avait permis, près de vingt ans avant l’opéra, aux Menus- Plaisirs de déployer leur savoir-faire pour créer une salle modulable : vingt-quatre heures suffisaient pour faire de ce théâtre une salle de bal. L’idée de concentrer les fastes exceptionnels dans un lieu unique ainsi progressait. La transformation des théâtres en salles de bal est alors courante dans toute l’Europe et sa mécanisation au moyen de planchers mobiles connue dès le milieu du siècle. Le machiniste Blaise-Henri Arnoult l’adopte à Versailles en lui donnant une ampleur supplémentaire. Il crée, pour le nouvel opéra, un ensemble complexe au triple usage de théâtre, de salle de festin et de salle de bal, dont la structure permet son aménagement à la demande. Côté scène, le nouveau grand théâtre offre un plateau aux dimensions exceptionnelles pour un théâtre de cour. Ses douze plans, ses cinq niveaux de dessous et ses cintres spacieux le rendent comparable aux plus grandes salles publiques comme celle de l’Opéra de Paris, dont les possibilités techniques restaient néanmoins supérieures.
Seuls deux théâtres ont subsisté
De tous les théâtres mentionnés, seuls subsistent aujourd’hui l’opéra et le théâtre de Trianon. Le premier, restauré pour la dernière fois en 1957, a hélas perdu la quasi-totalité de sa machinerie historique, mais conserve encore sa structure à cinq niveaux de dessous. Le théâtre de la Reine a également été restauré à plusieurs reprises, sans toutefois que sa machinerie soit altérée. Les autres salles qui ont jalonné l’histoire du château ont toutes disparu sans laisser de traces, à l’exception de quelques éléments de machinerie demeurés en place dans les combles de l’Aile neuve.
Raphaël Masson,
conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, chargé de la recherche appliquée aux collections et de la conservation des théâtres
A VISITER
L’Opéra royal ou le théâtre de la Reine grâce aux visites guidées
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr