Dix ans après l’exposition qui s’était tenue au château sur La Chine à Versailles – Art et diplomatie au XVIIIe siècle, est présentée à Pékin une version enrichie par de nouvelles acquisitions et découvertes. Ou comment prolonger les échanges culturels entre nos deux pays.
Les points forts de cette exposition, organisée en coopération avec le Musée du Palais, demeurent les principaux aspects illustrés en 2014 : l’amorce, à l’instigation de Louis XIV, d’une politique diplomatique en direction du pays de Cathay, et ses prolongements au XVIIIe siècle ; la fascination de la cour de France et des élites du temps pour la civilisation chinoise et ses productions artistiques ; l’influence de la Chine sur l’art français… Ces différents volets sont enrichis d’acquisitions récentes du château de Versailles, de prêts importants consentis par le Musée du Palais et de l’avancement de la recherche sur la figure du ministre sinophile de Louis XV et de Louis XVI, Henri Léonard Bertin (1720-1792).
Quand les « mathématiciens du Roi » gagnent la confiance de l’EmpereurLa fascination pour la Chine et ses productions artistiques n’était pas totalement nouvelle en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Née en Europe à l’époque romaine, elle était devenue un véritable mythe à la fin du Moyen Âge, soutenue par les récits des rares voyageurs qui s’y étaient aventurés, comme celui de Marco Polo au XIIIe siècle. Au début du XVe siècle, le mythe grandit à la faveur de la fermeture de l’Empire du Milieu aux étrangers par la dynastie des Ming. La Chine, devenue inaccessible aux Occidentaux, n’en était que plus attirante. La perception de la Chine changea de nature sous le règne de Louis XIV. À l’image idyllique véhiculée par le livre de Marco Polo se substituèrent des informations de première main, adressées à la France par les observateurs avisés qu’étaient les missionnaires jésuites, envoyés en Chine en tant que « mathématiciens du Roi ». Cette initiative ouvrit une période de découvertes mutuelles, souvent méconnues aujourd’hui. Les premières tentatives d’établissement d’un commerce avec l’Empire du Milieu, amorcées par Mazarin à la fin des années 1650, ayant échoué, ce fut par d’autres biais que le Roi-Soleil entra en contact avec la Chine : la religion, la culture et les sciences.
Soutenu par ses ministres, Louis XIV mit en œuvre une politique diplomatique volontariste en direction de son quasi contemporain, l’empereur Kangxi (1654-1722), politique qui eut des prolongements jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Il finança ainsi l’expédition en Chine des jésuites français, préalablement adoubés par l’Académie des sciences. Munis d’instruments de mathématiques et d’astronomie, ceux-ci partirent de Brest en 1685 et parvinrent à Pékin le 7 février 1688. Admis à la Cour, ils réussirent, grâce à leurs connaissances mathématiques, astronomiques et médicales, à gagner la confiance de l’empereur et à mener des travaux scientifiques de haut niveau. La mission jésuite de France porta de nombreux fruits, mais elle suscita aussi des jalousies qui sont à l’origine de la querelle des Rites1 qui devait diviser l’Europe tout au long du XVIIIe siècle.
Une figure mieux connue des relations franco-chinoises de l’époque :
Henri Léonard Bertin
Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, la mission jésuite de France demeura très active, malgré la querelle des Rites, en particulier grâce au soutien du contrôleur général des Finances – puis secrétaire d’État – Henri Léonard Bertin, sinologue averti, collectionneur passionné d’objets chinois, en perpétuelle correspondance avec les émissaires jésuites présents. Une figure qui s’est un peu dévoilée à la suite de découvertes récentes dans les archives françaises, ainsi que dans les collections de la Cité interdite. De même, certains membres de la famille royale s’intéressaient à la Chine et au sort des jésuites, notamment la reine Marie Leszczyńska. Son Cabinet des Chinois, acquis par le château de Versailles en 2018, en est le symbole2.
L’attirance de la Cour de Louis XIV pour la Chine avait pris une dimension nouvelle à la suite de la réception des ambassadeurs du Siam à Versailles, dans la galerie des Glaces, le 1er septembre 1686, qui avaient offert, parmi leurs présents, de nombreux objets chinois. Après 1700, cette fascination s’amplifia à la faveur de l’accroissement rapide des importations d’objets du pays de Cathay : porcelaines, laques, pierres dures, éventails, étoffes, papiers peints, par l’intermédiaire de la Compagnie des Indes française.
« L’attirance de la Cour de Louis XIV pour la Chine avait pris une dimension nouvelle à la suite de la réception des ambassadeurs du Siam à Versailles. »
Cette profusion d’objets chinois eut de nombreuses répercussions sur l’art français. On tenta de les imiter. On s’en inspira dans de nombreux domaines : peinture, estampe, tapisserie, céramique, textile, bronze d’ameublement, mobilier, art des jardins… Versailles et les autres résidences royales furent touchés à de nombreux titres par ce mouvement.
Cette influence de la Chine sur l’art français devait trouver une sorte d’apothéose au Petit Trianon avec la plantation, à partir de 1776, sous la direction de Richard Mique, d’un jardin anglo-chinois. Ce dernier constituait, à l’image de celui de la Folie de Chartres (l’actuel parc Monceau), une sorte de monde en miniature où la Chine trouvait sa place au même titre que la Grèce antique.
On n’hésita pas également, très tôt, à transformer les objets chinois importés, pour les magnifier, mais aussi pour les adapter au goût français. La manifestation la plus ancienne et la plus connue de ce phénomène est l’adjonction de montures en métal précieux aux pièces de porcelaine de Chine. Cette habitude ancestrale connut un âge d’or au XVIIIe siècle avec le développement du bronze doré, comme le montrent plusieurs porcelaines montées, de provenance royale, qui sont présentées à l’exposition. Les laques de Chine, qui transitaient par les côtes de Coromandel sous la forme de paravents ou de cabinets, n’échappèrent pas non plus aux transformations les plus radicales, exécutées par les ébénistes français à l’instigation des marchands merciers. On n’hésita pas ainsi à dépecer des paravents ou des coffres de leurs panneaux de laque pour les plaquer sur des meubles d’ébénisterie, enrichis de bronzes dorés parisiens.
Marie-Laure de Rochebrune,
conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1 Querelle qui opposa les ordres missionnaires jésuite, franciscain et dominicain au sujet de leur mission d’évangélisation dans les contrées lointaines.
2 Lire « Quand la Reine rêvait de Chine », par Gwenola Firmin, sur lescarnetsdeversailles.fr
Cette exposition est organisée en partenariat avec le Musée du Palais, à l’occasion du soixantième anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine par le général de Gaulle, le 27 janvier 1964.
Avec le soutien de la Maison Cartier, mécène principal de l’exposition.
Une verseuse qualifiée de « trésor national » revenue depuis peu à Versailles
En 2018, le château de Versailles a acquis une pièce insigne : une verseuse chinoise en argent partiellement doré, offerte à Louis XIV par les ambassadeurs du Siam lors de leur audience à Versailles, le 1er septembre 1686.
Cette réception dans la galerie des Glaces est bien connue, car elle a été largement commentée par les chroniqueurs du temps. Les ambassadeurs, après un voyage de près de six mois, arrivèrent chargés de présents de la part du roi Phra Naraï. Le chevalier de Chaumont en avait dressé la liste, d’une grande variété : pièces d’orfèvrerie, canons, laques, gemmes, étoffes, tapis, porcelaines provenant du Siam, mais aussi du Japon, d’Inde, de Perse… Les nombreux objets chinois parmi ces cadeaux devaient susciter de manière décisive l’attirance profonde de la cour de France et des grands amateurs d’art pour la Chine.
Sur les centaines de présents répertoriés, quatre ou cinq seulement sont aujourd’hui connus, dont cette verseuse, conservée dans les collections royales jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, puis aliénée à l’époque du Directoire. Classée « trésor national » le 12 juillet 2016 par le ministère de la Culture, elle a pu être achetée grâce au généreux mécénat de LVMH. Elle est l’une des œuvres majeures de l’exposition à la Cité interdite.
Marie-Laure de Rochebrune
D’un duc à l’autre : deux encoignures récemment identifiées
À l’occasion de la rédaction du catalogue de l’exposition, une paire d’encoignures due au grand ébéniste Bernard II Van Risen Burgh (vers 1696 – avant 1767), entrée dans les collections versaillaises par la donation de la duchesse de Windsor, a retrouvé son propriétaire initial au XVIIIe siècle : le 2e duc de Choiseul-Praslin (1735-1791).
Ces encoignures singulières figurent en effet dans son inventaire après décès, dressé en décembre 1791 : « Deux armoires basses d’encoignure à panneaux de laque fond rouge, avec encadrement de baguettes de cuivre doré et à dessus de marbre blanc aussi encadré de bords en cuivre doré. »
Les encoignures, aux lignes droites affirmées, ouvrent par un vantail central. Plaqué d’un grand panneau de laque rouge de Chine, celui-ci représente des pagodes (personnages) en léger relief doré. Les montants et les pieds à pans coupés sont enrichis de motifs de bronze doré caractéristiques du nouveau goût dit « à la grecque » : vases à l’antique, rosaces, cannelures à tigettes, oves et pointes-de-diamant. Tous ces ornements, ainsi que les lignes générales des deux meubles, permettent de les dater du milieu des années 1760.
Fils du ministre des Affaires étrangères de Louis XV, Renaud César de Choiseul, 2e duc de Praslin, mena une longue carrière militaire avant d’être nommé ambassadeur à Vienne, puis auprès de la cour de Naples. En 1785, il fut fait pair de France. À Paris, il habitait l’hôtel de Belle-Isle (à l’emplacement de l’actuelle Caisse des dépôts et consignations, rue de Lille) où il exposait ses collections, constituées principalement de tableaux de l’école flamande, de meubles en marqueterie Boulle et de porcelaines orientales.
Marie-Laure de Rochebrune
et Vincent Bastien, collaborateur scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
À VOIR
La Cité interdite et le château de Versailles : les échanges entre la Chine et la France aux XVIIe et XVIIIe siècles
jusqu’au 30 juin
CITÉ INTERDITE
Musée du Palais, à Pékin
Commissariat
Marie-Laure de Rochebrune, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
assistée de Vincent Bastien, collaborateur scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Guo Fuxiang, conservateur au Musée du Palais.
Autour de l’exposition
Le concert inaugural de l’exposition a été donné par l’Orchestre de l’Opéra Royal du château de Versailles dirigé par Stefan Plewniak.
Cette représentation exceptionnelle est suivie d’une tournée dans treize autres villes d’Asie.
L’exposition et la tournée de l’Orchestre de l’Opéra Royal du château de Versailles ont lieu dans le cadre de l’année franco-chinoise du tourisme culturel, ainsi que du festival culturel Croisements 60.
À (R)ELIRE
Marie-Laure de Rochebrune (dir.), La Chine à Versailles, art et diplomatie au XVIIIe siècle, coédition château de Versailles / éd. Somogy, 2014.