magazine du château de versailles

Féeries équestres

Du fait de son extrême élégance, mais aussi parce qu’il fut si important dans les combats durant des siècles, le cheval porte les divertissements du roi à leur firmament : c’est le grand moment du carrousel.
À l’occasion de l’exposition Cheval en majesté,
Hélène Delalex nous donne les règles du jeu.

Ecuyer et page persans, in Courses de testes et de bague, faites par le roy et par les princes et seigneurs de sa cour, en l’année 1662, par Charles Perrault, exemplaire personnel de Louis XIV, peint à la gouache par Jacques Bailly, 1670, Paris, Imprimerie royale, conservé à la bibliothèque municipale de Versailles. © Bibliothèque municipale de Versailles

Le promeneur du jardin des Tuileries, à Paris, se rappelle-t-il aujourd’hui que le célèbre manège de chevaux de bois situé devant la place du Carrousel éveille un lointain et glorieux souvenir ? C’est ici même que se déroule, les 5 et 6 juin 1662, devant toute l’Europe venue assister à l’évènement, Le Grand Carrousel, le plus éblouissant divertissement équestre jamais organisé dans l’Histoire, dont le faste manifeste à lui seul la place accordée au cheval dans la représentation du pouvoir sous l’Ancien Régime.
Alliance des Muses et de Mars, les fêtes équestres organisées par le roi offrent une image de la guerre en temps de paix. Moins dangereux et plus fastueux que les tournois – interdits en France suite à l’accident mortel du roi Henri II –, les carrousels sont donnés pour célébrer les événements dynastiques ou politiques, naissances, baptêmes, mariages, couronnements et victoires.
C’est au milieu du XVIIe siècle qu’ils atteignent leur apogée, à une époque où les anciens romans de chevalerie font l’objet d’un nouvel engouement. Alors que la pratique de la guerre évolue, les armes à feu remplaçant les lances et la guerre de siège les batailles rangées, ces compétitions équestres sont avant tout une occasion pour la noblesse de manifester son attachement aux vertus chevaleresques qui justifient pour une large part sa suprématie sociale.

Course de têtes [détail], in Courses de testes et de bague, faites par le roy et par les princes et seigneurs de sa cour, en l’année 1662, par Charles Perrault, exemplaire personnel de Louis XIV, peint à la gouache par Jacques Bailly, 1670, Paris, Imprimerie royale, conservé à la bibliothèque municipale de Versailles. © Bibliothèque municipale de Versailles

En avant sur la lice !

Le carrousel s’ouvre par une cavalcade dans laquelle se déploie la plus grande magnificence. Vêtus de costumes et caparaçons éblouissants parsemés d’une infinité de pierres précieuses, cavaliers et montures défilent dans les rues sous les vivats de la foule avant de se réunir pour la présentation officielle des équipes : marquant un temps devant la tribune des reines, les chevaliers font alors le tour de la lice, un terrain sablé bordé de barrières et entouré d’un amphithéâtre dressé pour l’occasion capable de contenir, comme en 1662, plus de quinze mille spectateurs. La fête se poursuit avec les épreuves équestres, courses de bague et de têtes, auxquelles participe le souverain, accompagné des meilleurs cavaliers du royaume. Les équipes, ou quadrilles, sont au nombre de quatre à douze, chacune arborant une couleur différente. Elles sont constituées d’un chef et de plusieurs chevaliers, appelés « aventuriers ». C’est alors le moment de rappeler à tous « les lois du camp », c’est-à-dire les règles du jeu : tout chevalier qui tombe de cheval, perd une arme, son chapeau ou même un simple étrier sera aussitôt disqualifié ; et parce que l’on « court » la bague et les têtes, les manœuvres doivent se faire au trot, le moindre galop annulant la course.

De somptueuses récompenses

Si, dans l’Antiquité, les vainqueurs des Jeux olympiques, recherchant l’honneur plutôt que la richesse, étaient plutôt récompensés de simples couronnes, les chevaliers victorieux des courses équestres, en revanche, recevaient des prix beaucoup plus importants : chevaux, armes, pierreries, et même princesse à marier. On retrouve cet héritage à l’âge classique, les récompenses consistant le plus souvent en des diamants et pierreries remises par les Dames. Ainsi, en 1662, le comte de Sault, vainqueur de la course de bague, reçut des mains d’Anne d’Autriche « un diamant fort riche », et le marquis de Bellefonds, qui ravit de peu à Louis XIV la victoire à la course de têtes, fut gratifié d’« une boîte garnie de très beaux diamants ». Il existait de nombreux prix permettant de récompenser plusieurs participants et de ménager les orgueils : « le Grand Prix pour celui qui fait plus de dedans de Bague ou qui emporte plus de Têtes », « le Prix de la Course des Dames », « du plus galamment ajusté », « de la meilleure devise » ou « de celui qui fait les courses d’un plus bel air et de meilleure grâce que les autres ».

L’exposition présente quelques rares témoignages de cet art éphémère : lances d’apparat, écus et carquois de fantaisie ornés des devises et emblèmes des quadrilles, gouaches, dessins et manuscrits enluminés des courses et chevaliers… Ces œuvres restituent la mémoire de ces réjouissances équestres dont la démesure étonne encore aujourd’hui : la richesse des livrées des chevaliers, la splendeur exubérante des caparaçons en brocart d’argent rebrodé d’or, l’enchantement exotique des équipages et la fougue expressive des chevaux s’y trouvent éternisés, en quelque sorte, en une fête sans fin.

Hélène Delalex,
conservatrice au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Course de bague du carrousel donné à l’occasion de l’accession au trône de Suède de Charles XI, in David Klöcker von Ehrenstrahl, Certamen equestre caeteraque solemnia Holmiae
Suecorum…, 1672, Stockholm, conservé à la Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / © Estampes et photographie


La course de bague

Venue d’Italie, la course de bague (corsa dell’anello), donnée en l’honneur des Dames, a, depuis son origine, une dimension galante. Elle consiste pour les chevaliers à enlever, de la pointe de leur lance, une « bague », un anneau métallique suspendu à une potence placée entre deux hauts piliers.
Les épreuves se déroulent devant la tribune des reines qui jugent les exercices et remettent les prix aux vainqueurs. Les cavaliers courent trois fois, à tour de rôle, tentant d’enlever six bagues au diamètre de plus en plus réduit : la première, la plus grande, est appelée « porte‑cochère », la suivante « la cinquième », « la quatrième » et ainsi de suite jusqu’à la plus petite. Après s’être placés face à la piste, les chevaliers lèvent haut leur lance et partent au petit galop, veillant bien à conserver leur équilibre, avant de baisser peu à peu le tronçon de leur lance tout en visant l’anneau. Lorsqu’ils passent sous la bague, ils relèvent leur lance très haut sans regarder derrière eux avant de la remettre à un estafier. On dit « faire un dedans » lorsqu’on prend la bague, et « faire une atteinte » lorsqu’on la touche sans l’emporter. Celui qui a le plus de « dedans » et « d’atteintes » gagne la course et, en cas d’égalité, les aventuriers refont chacun trois courses.

Dans la gouache de Jacques Bailly (voir plus haut), on distingue deux têtes en carton-pâte sur le terrain.


La course de têtes

Tête de Turc exécutée pour l’un des carrousels de Gustave de Suède entre 1776 et 1800, papier mâché peint, H. 32 cm, Stockholm, Livrustkammaren. © Stockholm, Livrustkammaren (L’Armurerie royale) /
SHM (CC BY 4.0)

Selon le célèbre Traité des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics1, la course de têtes est importée d’Allemagne où les guerres avec les Turcs l’ont introduite, « étant la coutume de cette Nation Barbare de récompenser les Soldats qui apportent les têtes des ennemis qu’ils ont tuez ». Il s’agit cette fois-ci d’emporter, d’un coup d’estocade et avec cinq armes différentes, le plus grand nombre de têtes.

Les têtes usuelles :
1. la Méduse ; 2. le Faquin ; 3. le Maure ; 4. la Tête pour le Sabre ; 5. Seconde tête pour le dard ; 6. la Tête pour l’épée
et 7. la Girouette ou le Chandelier, in Gaspard de Saunier,
L’art de la cavalerie, Paris, 1756. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / © Sciences et techniques

Réalisées en carton-pâte, ces dernières sont fichées sur des girouettes et disposées à différentes hauteurs. Le cavalier entre sur le terrain muni de toutes ses armes. La lance à la main, il tente d’abord de frapper une « tête de Turc » posée sur la barrière à la hauteur de 6 pieds (1,95 m). Il s’écarte ensuite par une demi-volte et revient au centre du terrain avec un dard pour s’élancer le long de la barrière à l’assaut d’une « tête de Méduse ». Puis, faisant une nouvelle demi-volte, il prend sous sa cuisse un autre dard qu’il vient lancer sur une « tête de Faquin ». Avec le pistolet, il fait une demi-volte renversée pour aller tirer sur la « tête de Maure », posée sur un buste à 4 pieds de haut (1,30 m). Puis, il se tourne vers une autre tête placée à côté de celle du Maure, et pourvue de grosses moustaches, qu’il va sabrer. Enfin, il revient l’épée à la main pour emporter une dernière tête – la plus difficile – posée à même le sol, à 1 pied de terre (32 cm). Chaque quadrille court quarante-quatre courses afin d’emporter le plus grand nombre de têtes. Les changements d’armes, les positions acrobatiques adoptées par les cavaliers, la diversité et la difficulté des figures équestres en font une épreuve des plus périlleuses, nécessitant une adresse parfaite.

1 Écrit en 1669 par le Père Claude-François Ménestrier, théoricien des fêtes sous le règne de Louis XIV.

 

 


À VOIR

Exposition Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation
Jusqu’au 3 novembre, au château de Versailles

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets : accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.

Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

COMMISSARIAT

Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Loretta Gaïtis et Irène Charrat

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne
Visites en famille : plusieurs activités pour les familles seront proposées.
Un parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application mobile : onelink.to/chateau
Une visite virtuelle de l’exposition ainsi qu’un long format digital

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » 

Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans, disponible sur chateauversailles.fr et en distribution libre à l’entrée de l’exposition.

À SAVOIR

Une exposition est également organisée au musée national de la Renaissance au château d’Écouen (95) :
À cheval : le portrait équestre dans la France de la Renaissance,
du 16 octobre 2024 au 27 janvier 2025.

 

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