magazine du château de versailles

Horace Vernet,
à bride abattue

Plus de quarante ans après la dernière exposition consacrée
à Horace Vernet (1789-1863), le château de Versailles présente
une grande rétrospective sur cet artiste favori de Louis-Philippe.
Près de 200 œuvres dévoilent une personnalité complexe, traversant
les différents courants picturaux de l’époque, mais aussi, et surtout,
ses faits marquants, dépeints en fresques splendides.

Horace Vernet, par Benjamin Roubaud (1811-1847), vers 1837-1839, estampe parue dans le Panthéon charivarique, recueil composé entre 1860 et 1880, château de Versailles. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux

Alexandre Dumas le compara à d’Artagnan, son fameux mousquetaire. L’exposition débute sur un tableau emblématique où Horace Vernet, vu de dos, s’adonne, en effet, à une joute avec l’un de ses élèves. Palette d’une main, fleuret de l’autre, cigarette au bec – l’on dirait aujourd’hui, les doigts dans le nez – il se dépeint lui-même dans son atelier, entouré d’amis que l’on devine nonchalants.

L’Atelier de M. Horace Vernet [détail], par Horace Vernet, 1820, coll. particulière. © EPV/ Christophe Fouin

Ses facilités en peinture faisaient des jaloux et laissent aujourd’hui pantois devant un travail prolifique qui ne craignait pas les grands formats. Il a d’ailleurs marqué le château de Versailles par ses immenses toiles de bataille ornant les salles d’Afrique, au premier étage de l’aile du Nord, que l’on peut exceptionnellement admirer.

Vue de l’une des salles d’Afrique du château. © EPV / Thomas Garnier

Des facilités et une énergie débordante

« L’œil vif, la figure expressive, la parole rapide, le geste court, l’imagination bouillante, le mouvement énergique, l’habitude du corps élégante […] », c’est ainsi que le critique d’art Auguste Jal en fait un portrait élogieux. Il poursuit, plus loin : « chasseur ardent, écuyer infatigable, musicien par instinct, militaire par goût, peintre par passion, on le voit tour-à-tour saisir la palette et manier le fusil, fumer comme un Espagnol, et chanter comme un Italien, faire des armes et sonner du cor, tracer un épisode plein de sentiment et de mélancolie, et dire un bon mot, tirer le pistolet et boxer1». Un homme virtuose, donc, et infatigable, que les facilités ont peut-être empêché de rentrer plus profond en lui-même – à ce titre, la comparaison de ses chevaux avec ceux de son ami Géricault est édifiante – mais éblouissent par tout ce qu’elles permettent de voir.

La Course de chevaux libres à Rome, par Théodore Géricault, 1817, Lille, palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais (PBA, Lille) / Philippe Bernard.

Un peintre documentaire

Avec une certaine forme de velléité, l’artiste s’accommoda parfaitement des régimes successifs de son époque, travaillant tout à la fois pour l’Empereur et Charles X, pour le duc d’Orléans devenant ensuite roi des Français, puis le président… « Horace Vernet aimait par-dessus tout la liberté et l’épopée, il avait pour cette raison un fonds de révolte permanent, se moquait des régimes politiques pourvu qu’il en reçut des commandes2 », analyse Valérie Bajou, commissaire de l’exposition, dans la belle introduction de son catalogue.

La barrière de Clichy. Défense de Paris, le 30 mars 1814 [détail], par Horace Vernet, 1820, Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRMN (musée du Louvre) / Michel Urtado
Au centre, le maréchal Moncey (1754-1842) donnant ses ordres à Claude Odiot (1759-1849), colonel de la garde nationale, pour empêcher les Russes de s’emparer de la butte Montmartre.

Dans son art, Horace Vernet recherche avant tout le pittoresque, goût que les batailles et la conquête de l’Algérie vont grandement satisfaire. Ce pragmatisme lui valut en son temps des remarques acerbes, notamment de Baudelaire qui ne voyait en lui qu’un artiste officiel, au service d’une monarchie bourgeoise. Aujourd’hui, il présente un intérêt documentaire certain : Vernet saisit les moindres mouvements de chaque scène, décrivant avec force détails l’assaut d’une compagnie ou l’attaque du campement de la smalah d’Abd-el-Kader.

Bataille d’Isly, 14 août 1844 [détail], par Horace Vernet, 1844-1846, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-GP (Château de Versailles) / Franck-Raux

Souffle impérieux de la vie

L’exposition montre également le talent d’Horace Vernet pour les portraits. Les regards inquiets jetés entre eux par les soldats, la terreur des assaillis, s’enfuyant pêle-mêle avec leurs affaires gisant par terre ou de véritables saynètes, comme ce médecin prenant le pouls d’un blessé au milieu du combat, font regorger de vie ces instants. Nos regards contemporains apprécient de découvrir des détails de cette époque, mis en scène dans des épisodes cruciaux qui captent l’attention. D’aucuns y verront une odieuse désinvolture. Ceux-là n’ont pas connu la guerre. Vernet, lui, l’a côtoyée, allant à la rencontre des soldats qu’il dépeint. Or, il a choisi d’associer aux morceaux de bravoure des instants plus tendres, parfois facétieux, qui rappellent que, même dans les moments les plus cruels, la vie palpite, tel le pouls de ces gazelles prises entre deux feux que l’on sent presque s’accélérer.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Valérie Bajou, « Horace Vernet : paillasse ou mousquetaire ? », introduction du catalogue consacré à l’exposition Horace Vernet (1789-1863) présentée du 14 novembre 2023 au 17 mars 2024 au château de Versailles.

2 Auguste Jal, L’Artiste et le philosophe : Entretiens critiques sur le Salon de 1824, Paris, Ponthieu, 1824, p. 174-175.

Prise de la smalah d’Abd-el-Kader par le duc d’Aumale à Taguin, 16 mai 1843 [détail], par Horace Vernet, 1843-1845, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-GP (Château de Versailles) / Franck-Raux

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