Ces bustes drapés peuplent le cœur du château depuis le début de son déploiement par Louis XIV : ils cernent la cour de Marbre et la Cour royale de leurs regards énigmatiques. Une campagne de restauration
de près de dix ans, rendue possible grâce à de nombreux donateurs, permet de mieux les connaître aujourd’hui.
Ce chantier de longue haleine a sauvé des œuvres malmenées depuis des décennies par la pollution atmosphérique, les intempéries et d’anciennes restaurations. Le dégagement des croûtes noires et des ciments a permis quelques belles découvertes, la beauté des marbres parfois polychromes et des onyx se révélant peu à peu grâce au travail des restaurateurs.
Ce chantier a également été l’occasion d’un formidable travail scientifique de datation de ces bustes qui, parfois composites, mêlent l’antique au Grand Siècle. Plusieurs portraits jusqu’alors sommairement décrits comme des bustes de « personnages romains » ont été rapprochés de leurs modèles antiques et, ainsi, identifiés. Enfin, grâce à l’Inventaire général des sculptures dressé en 1722 par François-Benoît Massou1, dans lequel un bref descriptif accompagne chaque buste, façade par façade et travée par travée, il a été possible de remettre les bustes à la place qui était la leur sous l’Ancien Régime.
De la portée symbolique de ces empereurs, postés à l’entrée du château
En effet, l’historique complexe de ces œuvres témoigne de bien des vicissitudes2. Dès 1665, des paiements attestent l’achat de bustes pour les façades du château de Versailles, alors résidence de plaisance de Louis XIV. L’agrandissement des cours en 1670 entraîne de nouvelles commandes à des sculpteurs tantôt oubliés, tantôt fameux, comme François Girardon. Cette « infinité de bustes en marbre sur des consoles » que mentionne alors André Félibien dans sa Description sommaire du chasteau de Versailles (1674) participe de la fascination de l’antique alors partagée par les élites et de la volonté du souverain de faire de Versailles une nouvelle Rome.
Établi en 1694, l’Estat général des ouvrages de sculpture placez dans les jardins de Versailles recense, pour la première fois, pas moins de quatre-vingt- quatre bustes de marbre dans les deux cours principales du château. Ce chiffre élevé est confirmé par les inventaires successifs dressés au XVIIIe siècle. Sous Louis XV, en 1725 et 1726, le sculpteur Jean Hardy restaure plusieurs d’entre eux dont un qui est « tombé de dessus la consolle », mais les sources restent trop imprécises pour permettre de savoir de quelles œuvres il s’agit.
« La Révolution balaie ce dispositif de prestige qui associait, à l’entrée du palais, l’autorité monarchique à la puissance des empereurs. »
La Révolution balaie ce dispositif de prestige qui associait, à l’entrée du palais, l’autorité monarchique à la puissance des empereurs. Au-delà du symbole, la dépose de la totalité des bustes a peut-être été aussi motivée par des mesures conservatoires, la plupart étant qualifiés, en 1792, de « mutilés ».
Des bustes reposés parfois à la mauvaise place
Le retour des Bourbons en 1815 a pour conséquence la repose des bustes, alors restaurés, mais à des emplacements différents. Diverses interventions se poursuivent jusqu’aux années 1980, période durant laquelle l’architecte en chef Jean Dumont ordonne des restaurations qui se sont depuis avérées invasives, voire nocives.
En 2015, à partir de l’inventaire de Massou, Maxime Blin, alors au département des Sculptures, a mené un patient travail d’identification des œuvres présentes sur les façades durant l’Ancien Régime. Le plan de restitution de cet état historique a été suivi pour l’essentiel : chaque année, depuis 2016, environ dix ou douze bustes ont été déposés, restaurés et parfois reposés à l’emplacement qu’ils occupaient en 1722. Pilotés par la régie des collections du château, ces nombreux mouvements d’œuvres, parfois très en hauteur, ont nécessité l’usage de la nacelle dans les cours. Des moments spectaculaires dont le dernier date, symboliquement, de juillet dernier, alors qu’approchait le début des Jeux olympiques 2024 en France, notamment à Versailles.
Lionel Arsac,
conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1 Inventaire conservé aux Archives nationales (O1 1969A).
2 Maxime Blin, « Les empereurs romains de Versailles. Restitution du décor des façades grâce à l’Inventaire de 1722 », in Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n° 20, 2017, p. 55 à 74.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).
La restauration de ce buste a permis de révéler la beauté de l’onyx dans lequel le torse a été exécuté. Particulièrement expressif, le visage est conforme aux effigies antiques de Septime Sévère.
Toutefois, cette œuvre ne correspond pas à celles décrites en 1722 dans l’inventaire de Massou, et n’a donc pas regagné les façades du château. Sur les quatre-vingt-quatre bustes qui ornaient la cour de Marbre en 2015, dix-sept, en effet, avaient manifestement été ajoutés après 1722 : ils n’ont donc pas été conservés dans le projet de restitution.
A contrario, dix bustes sortis en réserve et portant, parfois, l’inscription « réformé », ont été rapprochés des descriptions de Massou.
C’est le cas de cette œuvre qui a été identifiée comme un beau portrait de l’empereur Antonin le Pieux, caractérisé en ces termes : « Un buste d’homme antique, ayant les cheveux fort courts, fort peu de barbe, regardant sur la gauche, le corps nu. »
La restauration de cette œuvre, auparavant très encrassée, a permis de redécouvrir ses qualités artistiques.
Enfin, certains bustes sont mentionnés dans l’inventaire de 1722, mais n’ont pas été retrouvés. Pour les remplacer, nous avons sélectionné des œuvres à l’iconographie la plus proche.
Identifiée dans les réserves du château, cette œuvre, par exemple, a été rapprochée de celle que Massou détaillait ainsi en 1722, sur la façade principale de la cour de Marbre : « Un buste de Vénus dont la tête est antique au-dessous du menton, le regard incliné sur la droite, le nez restauré […]. »
L’œuvre sortie des réserves ne correspond pas exactement à cette description, sa tête n’étant pas antique, mais sa réplique orne désormais les façades du château en raison de sa similarité. Spectaculaire, sa restauration a permis d’affirmer que la tête représentant probablement Vénus avait été agréée sur le torse d’une Cléopâtre, ainsi que l’atteste le serpent qui devait autrefois piquer le sein dextre.
En concertation avec les restaurateurs, il a été décidé de remplacer par des répliques les bustes trop fragiles, ceux dont la tête est antique ainsi que ceux d’une qualité artistique supérieure, telle cette œuvre représentant Septime Sévère.
Ce buste était localisé, en 2005, côté nord de la Cour royale, au niveau du rez-de-chaussée. Sa réplique a été installée en 2019 sur la façade ouest de la cour de Marbre, conformément aux indications données en 1722 par l’inventaire de Massou pour « un buste d’empereur, sa tête incline sur l’épaule droite, les cheveux et la barbe un peu longs, le corps drapé de marbre de couleur sur un piédouche de marbre ».
Avant repose, originaux comme répliques ont reçu un badigeon sacrificiel de chaux : c’est cette couche en surface, composée de chaux aérienne et de poudre de marbre, qui est désormais attaquée par les intempéries.
La provenance initiale de tous ces bustes ornant les façades du château côté ville reste complètement inconnue.
À l’instar de quelques rares autres pièces, ce buste est composé d’une tête antique exécutée en marbre grec de Paros et agréée, sous le règne de Louis XIV, à un torse contemporain en marbre blanc de Carrare.
Il se trouvait au fond de la cour de Marbre, et sa réplique a regagné en 2016 sa place d’origine, sur la façade nord en rez-de-cour, selon l’inventaire de Massou qui la décrit comme « un buste de femme dont la tête qui est antique incline sur l’épaule gauche. Elle est simplement coiffée avec une bandelette, le corps est vêtu d’une chemise avec un morceau de draperie volant qui l’enveloppe ».
Cette campagne de restauration a été l’occasion d’une belle opération de mécénat, les bustes ayant tous été proposés à l’« adoption ». La plupart des œuvres ont trouvé de généreux bienfaiteurs qui, pour certains d’entre eux, ont renouvelé leur engagement, année après année.
Les membres de la Société des Amis de Versailles se sont tout particulièrement mobilisés. Qu’ils en soient ici remerciés !
Nous tenons, en particulier, à saluer le soutien sans faille de Mme Madeleine Faucheux-Bureau, récemment disparue. Mécène passionnée, elle a permis le sauvetage de dix bustes, dont cet impressionnant Faune souriant qu’elle appréciait beaucoup. Cet article lui est dédié.