Avec Femmes de Versailles, aux éditions Château de Versailles / Perrin, Alexandre Maral présente un captivant panorama des femmes qui, de Marie-Thérèse à Marie-Antoinette, ont marqué Versailles. Tandis que le musée Lambinet consacre cet hiver une exposition aux « Amazones de la Révolution », l’ouvrage nous éclaire sur le rôle social, culturel et politique de ces femmes qui, épouses de rois, membres de la famille royale ou dames de la Cour, illustrent le Versailles d’avant 1789.
Vous avez travaillé exclusivement sur les figures féminines de la Cour. Comment avez-vous choisi ce sujet ?
Alexandre Maral : Pierre de Nolhac (1859-1936), ancien conservateur du musée du château de Versailles, avait publié au début du XXe siècle, Les Femmes de Versailles, conçu comme une galerie de portraits. Avec mon livre, je voulais montrer que Versailles n’était pas seulement le palais de Louis XIV, un grand morceau d’architecture, mais aussi un espace de civilisation, de civilité, de galanterie, où les femmes ont eu toute leur place et où elles ont énormément œuvré.
Du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI, la place des femmes de la Cour a-t-elle évolué ?
A. M. Je commence vraiment l’analyse à partir de l’établissement de la Cour de Louis XIV à Versailles, c’est-à-dire en 1682 – année qui représente une césure dans le modèle de vie de la Cour. Auparavant, les femmes qui entourent le roi sont souvent ses favorites, alors qu’après 1682, le monde féminin vit en coupe réglée et s’organise autour du roi qui mène une vie plus rangée. C’est la grande époque de Mme de Maintenon, figure dominante de la Cour – ce qui est paradoxal car en tant qu’épouse morganatique, elle n’avait pas de rôle officiel et restait très effacée. Plus tard, sous Louis XV, les femmes s’émancipent : elles occupent des positions plus visibles et jouissent de davantage de liberté. On pense à Mme de Pompadour, à Mme Du Barry, et même aux filles de Louis XV qui profitent d’une certaine autonomie et exercent une influence importante sur la vie de Cour. Enfin, le règne de Louis XVI s’impose comme le règne de Marie-Antoinette qui occupa une place toute à fait considérable. Ainsi, on peut schématiser en disant que sous Louis XIV, les femmes importantes de la Cour gravitent autour du roi, sous Louis XV, le paysage féminin est plus éclaté, et que sous Louis XVI, c’est Marie-Antoinette qui occupe la place principale.
Pourquoi, parmi toutes les femmes dont vous évoquez le destin, consacrer à Marie-Antoinette cette place si centrale dans votre livre ?
A. M. Tout d’abord, elle est reine de France et occupe toute la période du règne de Louis XVI. Ce qui n’est pas le cas de Marie Leszczynska qui meurt avant Louis XV, et encore moins de Marie-Thérèse, l’épouse de Louis XIV, qui décède en 1683. Ensuite, Marie-Antoinette n’a aucune favorite à craindre. Le roi Louis XVI lui est fidèle, elle seule partage sa couche. Enfin, la reine a une très forte personnalité : ses goûts, ses caprices, sa manière d’exister ont marqué très profondément la Cour. Dans l’ouvrage, je parle également beaucoup de son entourage. Mme de Polignac, Mme de Lamballe, Mme de Tourzel, gouvernante des enfants royaux… toutes ces femmes qui doivent certes à Marie-Antoinette leur place à la Cour, mais qui disposent également d’une visibilité propre. Sans oublier les artistes Rose Bertin et Mme Élisabeth Vigée-Lebrun. À travers et autour de la reine Marie-Antoinette, s’ouvre une grande période pour les femmes.
Quel fut le personnage féminin le plus dénigré de son époque selon vous ?
A. M. Si Marie-Antoinette fut sévèrement critiquée, Mme de Pompadour aussi était détestée. Quant à Mme Du Barry, avec les opposants au clan Choiseul, elle se trouva des alliés objectifs et échappa à la vindicte. Ce monde féminin est associé à la civilité, la civilisation, mais il s’avère aussi cruel, tissé de jalousies.
Parmi toutes ces femmes, de laquelle auriez-vous envie de raconter plus précisément l’histoire ?
A. M. L’une d’entre elles me paraît mériter une étude plus approfondie : Mme de Maintenon. Je lui consacre un chapitre, mais il faudrait écrire un livre ! Si elle a tout fait pour rester discrète, son rôle dut être beaucoup plus important que celui que l’on s’accorde à lui reconnaître. Elle endossa un rôle politique important, un rôle social, un rôle de « civilisation », car elle portait avec elle le projet éducatif de Saint-Cyr, sorte d’émanation de la Cour. On pourrait également analyser le rôle que Mme de Maintenon a joué dans les soirées d’appartements, ces phénomènes de vie sociale à la Cour, ces moments de civilité. Ne perdons pas de vue qu’elle a connu dans sa jeunesse le monde des salons et de la préciosité du Paris des années 1640-1650. On pourrait voir aussi dans quelle mesure Mme de Maintenon exerça son influence dans les festivités théâtrales et scéniques à la Cour.
Pouvez-vous nous présenter une œuvre illustrant un personnage féminin des collections du Château ?
A. M. À Versailles, le portrait de femme qui me plaît le plus est celui de Madame Adélaïde, la fille chérie de Louis XV, peint par l’artiste Labille-Guiard. Il représente Adélaïde de France devant des portraits sculptés, les médaillons de son père et de son grand-père, Stanislas. On remarque aussi sur ce tableau de fins reliefs illustrant la bataille de Fontenoy, haut fait militaire du règne de Louis XV, et le roi atteint de variole, veillé par ses filles sur son lit de mort. Le tableau constitue un véritable abrégé de code d’honneur : la représentation de la piété filiale, le souvenir des hauts faits militaires et l’image de la femme qui tient son rang. Ce tableau est important parce qu’il fait figure de contre-pied : en effet, il a été réalisé en 1787 par Adelaïde Labille-Guiard, la grande rivale d’Élisabeth Vigée-Lebrun qui elle-même avait peint un grand portrait de Marie-Antoinette et de ses enfants. Madame Adélaïde symbolise la vieille Cour, elle ne déroge pas au modèle issu du règne précédent, contrairement à Marie-Antoinette. Les deux peintures peuvent être considérées comme antinomique, d’autant plus qu’elles ont été conçues au même moment et exposées toutes les deux au Salon de 1787.
Selon vous, quelle femme s’affirma avec le plus de détermination par son statut économique et politique?
A. M. Sous Louis XV, Mme de Pompadour eut énormément d’influence. Une femme très puissante, caractérisée par un gros appétit d’argent, une vraie volonté de pouvoir. Derrière elle se tenait tout un clan de financiers. Celle qui venait d’un milieu étranger à la Cour devint la représentante des intérêts de sa caste, ce qui nourrit de nombreuses oppositions avec certaines personnalités de la Cour. Mme de Pompadour tiendra vingt ans durant ce statut. Pour moi, c’est la figure la plus déterminée, la plus forte des femmes de la Cour de Versailles.
Si vous aviez un conseil amical à donner à une nouvelle arrivée à la Cour, qu’aimeriez-vous lui dire ?
A. M. Je lui dirais qu’il faut cultiver tact et détermination pour y survivre. On pourrait prendre comme modèle Marie Leszczynska, qui fut peut-être la femme la plus appréciée à la Cour ; elle qui, malgré sa discrétion, son caractère effacé et toutes les avanies qu’elle a subies à cause de la conduite de son mari Louis XV, s’est habilement faite à la situation, en animant et façonnant la Cour à son image, en regroupant autour d’elle de fidèles amis.
INFORMATIONS PRATIQUES
L’auteur : Alexandre Maral est historien et historien de l’art français, conservateur général, chef du département des sculptures au Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon et directeur du centre de recherche de l’établissement.
Femmes de Versailles
Textes d’Alexandre Maral, préface de Stéphane Bern
Coéditeurs : Château de Versailles – Perrin
400 pages
Format : 14 x 21cm
Langues : Français
ISBN : 978-2-262-04779-5
Prix : 23 euros
- L’ouvrage est disponible sur la librairie du Château