Du temps des rois, les visiteurs, déjà, affluaient à Versailles. Hôtes de marque, mais aussi tout un chacun, autorisé à entrer, venaient voir le souverain et admirer les splendeurs du Château. Plongée au cœur de cette foule bigarrée et curieuse.
Espace royal et public à la fois, le château de Versailles est le théâtre du spectacle que le Roi donne à la Cour et à l’ensemble de ses sujets. Le choix de Louis XIV, officialisé en 1682, de déplacer le gouvernement et la Cour hors de Paris marque l’aboutissement d’un projet qui organise le pouvoir monarchique d’une manière nouvelle autour de sa personne. Dès lors, tous les jours, les visiteurs affluent dans ce palais qui devient le plus accessible d’Europe. Toute la société est ainsi invitée à se rendre à Versailles, sans aucune distinction. Une seule condition : être décemment vêtu, et, concernant les hommes, porter le chapeau et l’épée, tel un parfait gentilhomme. Ce qui ne manque pas d’étonner certains visiteurs étrangers que l’on arme à l’entrée du palais ! Pour circuler tout à fait librement dans le Château, mieux vaut se fondre dans la foule des courtisans, en adoptant leurs tenues élégantes et en suivant leurs codes. Il convient, par exemple, de se présenter vêtu de noir lorsque la Cour porte le deuil, ce qui arrive fréquemment. Les habiles tailleurs parisiens, disposant de lés de robes et d’habits pré-brodés, métamorphosent en un rien de temps celui qui prend la route pour Versailles.
Portes ouvertes quotidiennes…
L’on s’y rend pour trois raisons principales : apercevoir le Roi, ainsi que la famille royale ; admirer la splendeur de la Cour et découvrir ce palais « sans pareil » dont la réputation s’est répandue à travers l’Europe, et même au-delà. L’occasion d’approcher le souverain se présente tous les jours, en fin de matinée, alors qu’une procession le conduit à la messe en traversant le Grand Appartement, et certains soirs lors des Grands Couverts où le Roi dîne en public. Il est souvent accompagné de la Reine et, parfois, d’autres membres de la famille royale. Contre toute attente, ces repas cérémonieux se révèlent des moments privilégiés d’échange avec la foule qui s’y presse. Louis XIV n’y demande-t-il pas, un jour, à un Chinois accompagnant des pères jésuites de réciter le Notre Père en mandarin ?
Mais quotidiennement, c’est le très nombreux personnel de la Maison du Roi que rencontrent d’abord les visiteurs : gardes en uniforme et gens de livrée, foule tricolore avant l’heure, où le bleu et le rouge galonnés de blanc, et parfois d’argent ou d’or, sont associés au blanc des culottes, des bas et des jabots. Quotidiennement aussi restent ouverts les espaces principaux du palais pour les amateurs qui viennent découvrir leur beauté et la richesse de leurs collections. Les Grands Appartements, notamment, et leur point d’orgue, la Grande Galerie, sont accessibles, ainsi que les jardins, véritable galerie de sculptures à ciel ouvert, et spectacle vivant lorsque jouent les fontaines. En l’absence de la famille royale, certains appartements privés peuvent également être aperçus, souvent par le biais du personnel de la Cour. Ainsi, ceux qui sont originaires de l’Empire trouvent auprès des gardes Suisses non seulement des interprètes, mais aussi des intercesseurs.
… et fastes des ambassades
Parmi les visiteurs, il faut aussi compter ceux qui sont officiellement reçus par le souverain : personnes devant être présentées au Roi pour diverses raisons, princes de familles alliées – ou ennemies – venant de l’étranger, ainsi qu’ambassadeurs des quatre coins de la terre, Versailles étant le centre d’une intense activité diplomatique.
Ceux des nations européennes, en poste à Paris, sont accueillis pour leur audience dans la chambre du Roi. Les ambassadeurs extraordinaires de contrées éloignées bénéficient d’un cérémonial plus spectaculaire, trouvant son point d’orgue dans le salon d’Apollon, devenu salle du Trône, ou, plus exceptionnellement encore, dans la Grande Galerie que l’on se mit rapidement à appeler la galerie des Glaces. Outre l’humiliante réception du doge de Gênes, celle-ci fut utilisée seulement pour trois ambassades : celle de Siam, en 1686, celle de Perse, en 1715, et la seconde ambassade ottomane, en 1742. Celle du royaume indien de Mysore, dernière grande ambassade extraordinaire avant la Révolution, dans le salon d’Hercule.
Une riche iconographie rend compte du pittoresque des costumes nationaux, fièrement portés, et de l’originalité des présents apportés. Les cadeaux échangés à l’occasion de ces ambassades, comme à celle des visites princières, constituent autant de témoignages du faste de la cour de France. De ces splendeurs exotiques, bien peu ont survécu aux changements du goût et aux révolutions. Quelques-uns de ces cadeaux ont néanmoins pu être identifiés récemment, tel ce canon apporté par les ambassadeurs du roi de Siam, ou ces armes, ornées d’émeraudes, offertes par l’ambassadeur ottoman. A disparu, en revanche, une tente « doublée d’étoffes d’or et d’argent », aux poteaux marquetés de nacre, qui avait été montée, puis meublée de tapis et d’un sofa, au centre du parterre d’Eau. De même qu’un harnachement, agrémenté de diamants et accompagné d’un abreuvoir d’argent.
« Artistes et scientifiques laissèrent des témoignages à travers leurs journaux et leurs croquis pris sur le vif. Plus largement, des guides étaient publiés, en France et à l’étranger. »
Artistes et scientifiques – qui ne manquèrent pas de venir à Versailles, source infinie d’inspiration – en laissèrent des témoignages à travers leurs journaux et leurs croquis pris sur le vif. Les coûteux recueils gravés par le Cabinet du Roi, décrivant les principaux lieux tels que la Grande Galerie et l’escalier des Ambassadeurs, étaient doublés de vues d’optiques plus populaires qui circulèrent beaucoup au XVIIIe siècle. Des réductions en bronze, voire en porcelaine, des sculptures des jardins diffusèrent l’iconographie créée pour Louis XIV à travers l’Europe. Le modèle versaillais s’imposa ainsi désormais à l’égal de celui de Rome dans les pérégrinations du « Grand Tour ». Plus largement, des guides étaient publiés, en France et à l’étranger, et une véritable industrie du souvenir s’était mise en place : déjà, les splendeurs de Versailles tenaient leur place dans l’imaginaire de tout un chacun qui repartait heureux d’en garder une trace.
Bertrand Rondot,
Conservateur en chef, département du mobilier et des objets d’art au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Paris-Versailles en bateau
Il fallait au minimum deux heures pour parcourir les quatre lieues depuis la capitale. Dès 1669 était établi un service de messagerie « d’un carrosse, d’un coche et d’une carriole pour aller et venir tous les jours de chaque semaine de la ville de Paris audit bourg de Versailles ». Le confort du voyage dépendait du modèle de voiture retenu – coche à seize places, carrosse à huit ou quatre places – et son prix variait selon la présence, ou non, du Roi à Versailles. Toutefois, pour beaucoup, le mode de transport le plus agréable était le bateau, depuis le quai des Tuileries jusqu’à Sèvres tout au moins.
Visite incognito
Pour ses visiteurs de marque comme pour le Roi, le cérémonial obligé pouvait paraître accablant. À l’exception de la visite, contrainte, du doge de Gênes en 1685, puis de celle, pleine d’imprévu, du tsar Pierre le Grand en 1717, les princes européens préférèrent venir à Versailles incognito. Ils adoptaient, le temps du voyage, une identité d’un statut social inférieur à celle de souverain ou de prince héritier. La personne se dotait du titre d’une terre dépendant de ses États, comme l’empereur Joseph II, venu en 1777 puis en 1781 sous le nom de comte de Falkenstein, fief habsbourgeois en Alsace. Parfois, il s’agissait d’une propriété telle que ce château, à la périphérie de Stockholm, dont Gustave III de Suède emprunta le nom pour devenir comte de Haga lors de sa seconde visite, en 1784. Choix plus poétique, mais aussi politique, le tsarévitch Paul et son épouse vinrent en France, en 1782, sous le nom de comte et comtesse du Nord. Quant à l’hôte, il respectait l’incognito en feignant d’ignorer le véritable rang de la personne. Chacun y trouvait son compte. Le visiteur jouissait d’une plus grande liberté. Il pouvait voyager plus simplement, sans être accompagné d’une suite importante, et sans être tenu de fournir cadeaux et dépenses somptuaires. Le Roi était dispensé des cérémonies coûteuses qu’impliquait une visite officielle. Ce jeu, propre à la société de Cour, était pratiqué avec plus ou moins de discrétion. Joseph II, comte de Falkenstein, lorsqu’il se rendait à Versailles, était accompagné d’un seul valet qui lui servait de guide et fut plus d’une fois ignoré par le personnel de la Cour. Lorsqu’il se présenta, un matin, pour visiter la Ménagerie, le concierge le pria d’attendre qu’un groupe se fût formé pour le laisser entrer. Mais son beau-frère, le roi Louis XVI, pourtant très respectueux des usages, ne pouvait s’empêcher de l’appeler « l’Empereur »