magazine du château de versailles

Au fil du temps

Câblés, lézardes, migrets, cartisanes… Tout un vocabulaire qui traduit la complexité de cet art minutieux et discret qu’est la passementerie. Une tradition perpétuée, contre vents et marées, par la maison Declercq, présente sur plusieurs chantiers de restitution du Château.

© Château de Versailles-Thomas Garnier

Les métiers d’art, c’est un savoir-faire thésaurisé sur plusieurs générations d’artistes et d’artisans : tout un patrimoine matériel et immatériel qui fait la richesse et la spécificité de l’excellence à la française. Versailles, lieu de création par la volonté monarchique, a toujours entretenu des liens privilégiés avec ces métiers qui ont largement contribué à son rayonnement par la perfection de leurs réalisations. Hier comme aujourd’hui : Declercq Passementiers, en 2018, est le lointain successeur de Fizelier ou de Mahieu, marchands de galons, fournisseurs du Garde-meuble de la Couronne.
Dans la partie textile du lit de la chambre du roi Louis XVI, au sein de l’appartement intérieur, dont la restitution est en cours de chantier, la passementerie tient une place de choix et ce, grâce au mécénat de la Versailles Foundation : à côté des tissages brochés et des broderies d’application, elle structure l’architecture de cet ensemble.
À l’époque, par ordre nº189 du 5 avril 1785, le sieur Mahieu livrait entre autres des franges de cinq et de quatre pouces « garnies en or et soie avec torsades d’or et des têtes de cartisane or et paillettes à festons » (Archives nationales, Maison du roi). Ainsi les sources – marchés et mémoires – nous montrent-elles comment nos prédécesseurs, rompus à cette cohérence décorative, savaient attribuer des longueurs de franges selon les parties du lit et jouaient de toutes ces bandes architecturales que sont les crêtes, mollets, lézardes et bordures, dans une maîtrise jamais égalée de la perspective et des jeux de couleurs.
Grâce à la compétence de la maison Declercq, engagée par voie de marchés publics, ces défis ont été relevés. Si la maison n’a pas, semble-t-il, conservé d’archives papiers, elle a l’immense chance de contenir dans les vitrines en bois, au charme suranné, de son show-room de la rue Étienne-Marcel un nombre inestimable de câblés, miroirs, migrets, galons, glands, cartisanes, petits, moyens et grands, posés ou suspendus au bout de longues cordelettes, dans un arc-en-ciel de couleurs un peu passées, mais propres aux goûts de chaque époque. Ici, les glands touffus du XVIIIe siècle, avec leur forêt de torsades et de jasmins ; là, ceux du XIXe siècle, à la construction irréprochable. Certains conservent encore les étiquettes en vélin aux noms des passementiers qui, progressivement au cours du XIXe siècle, ont intégré la maison Declercq. Attentive aux évolutions techniques, celle-ci a racheté des ateliers moins chanceux et moins investisseurs. Ainsi, dans les années 1970, des fabricants comme Louvet et Mauny ou encore Boudin et Sailly.

De la rue Quincampoix à la rue Étienne-Marcel et à Montreuil-aux-Lions
Aucun inventaire ne nous guide. Seul l’oeil le fait, aidé par la connaissance de Jérôme Declercq, héritier avec sa sœur de cinq générations. Le premier d’entre eux, Joseph Bertaud, était garçon de course dans une petite passementerie et c’est son gendre, Ernest Perret, qui lance la maison. De la rue Quincampoix, celle-ci passe rue Saint-Sauveur avant de s’installer, au tournant de 1970, rue Étienne- Marcel. Dans ces mêmes années, face au coût de l’immobilier parisien, les ateliers déménagent dans l’Aisne, à Montreuil-aux-Lions, où ils emploient alors quatre-vingt tisseurs à main et mécanique, établisseuses, réassortisseurs, retordeurs, au cœur d’une campagne riante, dans une usine à flanc de coteau, toujours active.
Là, quand vous pénétrez dans cet univers de métiers, à main et Jacquard, sommés de piles de cartons perforés et serrés dans leurs puissantes charpenteries de bois, quand vous les passez en revue dans le cliquetis des battants frappant la chaîne et de la ronde des marionnettes, quand vous voyez fonctionner, comme au XIXe siècle, l’élégant moulin à ourdir en noyer, quand, enfin, vous comprenez la longue marche du retordeur, concentré sur ses fils alignés qui, en un tour de main, deviennent un câblé, une duchesse, une torsade à la tresse nouée, vous revivez le monde des fabriques, leur beauté et leurs secrets.
La passementerie, c’est un vocabulaire, riche, précis et technique qui se transmet immuablement. La passementerie, c’est un jeu de moules en bois, olives, toupies, étoiles, poires, cônes, diabolos et cuvettes qui s’emboîtent et s’articulent. La passementerie, c’est le geste cadencé et maîtrisé d’un fil ténu que l’on enroule au millimètre près autour d’une forme. La passementerie, c’est le savoir-faire d’une communauté de métiers qui, malicieusement, se jouent de géométries et de couleurs. Que les fées de la patience et du doigté incitent les jeunes générations à en perpétuer la tradition.

Élisabeth Caude,
Conservateur général, Chef du département Mobilier et Objets d’art au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n° 13 (avril – septembre 2018).

Cartisane de soie bordée de deux ganses plumes en soie passées à l’aiguille. © Château de-Versailles-Thomas Garnier.

Début du passage en croix avec la cartisane de soie sur un moule Louis XVI couvert par un roulé en ganse. © Château de Versailles-Thomas Garnier.

Gland de l’embrasse de lit sur un lit de jasmins : boule satinée or et grappé bleu ; moule Louis XVI roulé, passé en croix et coquillé ; chardons ; torsades or et soie ; jupe moulinée brins fins avec jasmins ; torsades or © Château de Versailles-Thomas Garnier

 

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