Jamais des jardins n’avaient été représentés avec une telle précision tout en mettant en scène des figures de la mythologie et de la littérature. Une exposition retrace le travail profondément original de Jean Cotelle, ce peintre formé à la miniature grâce à qui certains bosquets disparus de Versailles se dévoilent.
Ceux qui apprécient la peinture décorative du siècle de Louis XIV viennent l’admirer en parcourant les Grands Appartements, la galerie des Glaces et la Chapelle du château de Versailles. Un deuxième circuit s’impose, celui des appartements du Trianon de marbre1.
Les grands noms de l’équipe de Charles Le Brun, à savoir La Fosse et Houasse, et de la génération suivante, tels Jouvenet et Verdier, y sont présents ; les murs blancs de Trianon ont offert à leur talent la possibilité de s’exprimer dans des tableaux de chevalet de petit et moyen format. Pour décorer la galerie, un des lieux les plus prestigieux du palais, il est fait appel, dès 1687 ou tout du moins 1688, à trois artistes : Jean Cotelle pour vingt-et-une toiles, Étienne Allegrain pour deux et Jean-Baptiste Martin pour une.
Étranger au clan Le Brun, Cotelle était cependant déjà connu du souverain pour sa participation aux enluminures des manuscrits des Campagnes de Louis XIV, et surtout de Monsieur, frère du Roi, pour lequel il avait décoré de scènes mythologiques le cabinet des Bijoux du château de Saint-Cloud (aujourd’hui disparu). Il bénéficia probablement du soutien du surintendant des bâtiments, Louvois.
Faut-il rappeler qu’à Trianon, « le thème dominant est celui de la nature »2 et celui de Flore ? La galerie, reliant de plain-pied le salon Frais au salon des Jardins (alors dit du Portique), n’échappe pas à leur attrait, bien au contraire. Onze de ses fenêtres donnent sur les parterres, côté sud, et cinq autres sur le bosquet des Sources, côté nord. L’esprit des jardins se retrouve à l’intérieur grâce aux vingt-quatre peintures qui prennent place entre les baies. En effet, celles-ci représentent avec force détails des vues topographiques des bosquets de Versailles, les unes animées de scènes historiées chez Cotelle, les autres de silhouettes en costumes contemporains chez Martin et Allegrain. Comme on s’est plu à se promener dans les jardins, ainsi on se perd, de tableau en tableau, dans ces bosquets peints.
En plus de la commande des vingt-et-une toiles, Cotelle reçut celle de vingt miniatures et d’un dessin représentant les Bains d’Apollon. C’est dire combien ces compositions étaient appréciées de Louis XIV. À petite échelle et dans un autre médium, le peintre reprend les mêmes représentations, à quelques nuances près. Cependant, en rétablissant les proportions, l’effet en est différent ; les perspectives n’ont plus besoin d’être déformées. Le château de Versailles conserve quatorze de ces précieuses petites gouaches.
Quand la fiction rejoint la réalité
Des « portraits des Maisons royales » et de leurs jardins, il en existait déjà. Allegrain et Martin s’étaient fait une spécialité de ces représentations exactes, peuplées de visiteurs et de courtisans. En revanche, Cotelle crée des peintures d’un genre inédit en agrémentant des vues topographiques des jardins de Versailles de scènes historiées. Le bosquet devient un décor adapté à la narration d’épisodes tirés de la mythologie ou de la littérature. Ainsi le dieu-fleuve Alphée poursuit la nymphe Aréthuse dans le bassin de l’Étoile ; la magicienne Armide s’emploie à réduire en esclavage le chevalier Renaud en jouant de ses charmes dans le bosquet de la Salle de bal (anciennement bosquet des Rocailles) ; Apollon, sur son char tiré par quatre chevaux fougueux, est sur le point de décocher sa dernière flèche sur le dragon Python qui s’apprêtait à le dévorer, au bassin du Dragon ; Vertumne, sous les traits d’une vieille femme, tente d’approcher Pomone près de l’Orangerie, etc. Ces quelques exemples suffisent à saisir l’esprit qui domine ces peintures : un monde idéal et galant qui se déploie de composition en composition, celui de l’Olympe descendu sur Terre ; un monde de figures aux physiques semblables, éternellement jeunes, vêtues pareillement, nourries des Métamorphoses, d’Ovide, de L’Âne d’or ou les Métamorphoses d’Apulée, des Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine, et de la Jérusalem délivrée du Tasse.
« Un monde idéal et galant qui se déploie de composition en composition. »
Quant aux jardins, Cotelle s’est appliqué à représenter chaque lieu avec précision, en donnant parfois du même bosquet un deuxième angle de vue, comme pour le Théâtre d’Eau ou pour l’Arc-de-Triomphe, et en allant jusqu’aux moindres détails, comme en témoignent les vases bleus du bassin de l’Étoile ou les sculptures des Enlèvements de l’Orangerie. Ses peintures atteignent le même niveau d’exactitude que les représentations de Martin et d’Allegrain. Elles conservent ainsi le souvenir des bosquets détruits du Labyrinthe, du Marais et du Théâtre d’Eau.
Béatrice Sarrazin,
Conservateur général, chef du département Peintures et Arts graphiques au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1. Le « premier » château de Trianon, dit le Trianon de porcelaine, est remplacé en 1687 par le Trianon de marbre. À partir de la construction du Petit Trianon, on va prendre l’habitude d’appeler celui de marbre le Grand Trianon.
2. Antoine Schnapper, Tableaux pour le Trianon de marbre, Paris, Réunion des musées nationaux, 1967, éd. 2010, p.41.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n° 13 (avril – septembre 2018).
L’exposition
Cette exposition est la première à raviver la mémoire du peintre Jean Cotelle (1646-1708) à qui pourtant Louis XIV confia la décoration de la grande galerie du Trianon.
Alliant l’agrément et la précision dans la manière de montrer la nature, ces peintures de Jean Cotelle constituent une référence incontournable dans la représentation des jardins à la française et dans la connaissance de ceux de Versailles.
C’est leur restauration, entamée dans les années 2000 (Lire Les Carnets de Versailles nº10), qui a fait naître ce projet d’exposition. Sept peintures ont tout d’abord pu en bénéficier grâce à la générosité de donateurs privés, dont certains de la Société des Amis de Versailles – qui s’est ensuite engagée pour la restauration de cinq nouvelles œuvres.
Peintures, dessins, gravures, sculptures : plus d’une centaine d’œuvres seront réunies, dont une grande partie de la main de Cotelle. Quelques pièces inédites de Versailles, comme ces plombs d’ornement provenant du bosquet des Dômes aujourd’hui disparu, compléteront la découverte.
Les autres facettes du peintre de jardins
La commande de Trianon ne doit pas faire oublier les autres facettes du talent de Cotelle et de son parcours varié, à Saint-Cloud, à Versailles, mais également en Provence. Né à Paris, l’artiste se forme auprès de son père, peintre décorateur et ornemaniste, et vraisemblablement chez le portraitiste Claude Lefèvre. De 1665 à 1670, il se rend en Italie et, à son retour à Paris, entre à l’Académie royale de peinture et de sculpture en tant que miniaturiste. Il participe à l’illustration des Campagnes de Louis XIV.
Bénéficiant d’un certain renom, il est appelé par Monsieur, frère du Roi, pour décorer le cabinet des Bijoux au château de Saint-Cloud vers 1680, connu seulement par des gravures. Il est de ceux qui reçoivent la commande d’un May pour Notre-Dame de Paris, les Noces de Cana, très grand format qui met en lumière un autre aspect des talents de l’artiste.
En 1693, Cotelle quitte Paris. Pourquoi ce choix alors qu’il venait de recevoir une nouvelle commande du Roi de deux tableaux pour le salon Frais de Trianon ? Serait-ce pour des raisons personnelles ? Il passe par Lyon et s’établit à Marseille où il devient directeur-adjoint de l’opéra et peint à fresque le plafond de l’Hôtel de ville, aujourd’hui disparu.
Ses talents de décorateur le conduisent à participer aux décors éphémères pour l’entrée du duc de Bourgogne et du duc de Berry en Avignon. De retour à Paris en 1703, sa carrière prend un tour plus modeste. Le peintre s’oriente vers la réalisation de dessins pour la gravure et de gouaches pour les éventails. Il meurt le 24 septembre 1708 à Villiers-sur-Marne.
À la recherche des Cotelle disparus
À la fin du XXe siècle, l’on a perdu la trace d’un dessin, La Toilette de Vénus, et de deux gouaches de Cotelle, Eliezer et Rebecca au puits et Vue du château de Choisy du côté des parterres et la famille de Louvois.
L’espoir de les retrouver a teinté de suspense la préparation de l’exposition, qui s’est doublée du lancement d’un avis de recherche. Outre sa diffusion dans les réseaux traditionnels de vente d’œuvres d’art, l’avis a été publié sur les comptes Facebook, Twitter et Instagram du Château, via le hashtag #ExpoCotelle. Une première ! Les investigations ont porté leurs fruits : une autre gouache encore a pu être localisée chez un propriétaire privé.
À VOIR
Exposition Jean Cotelle (1646-1708)
Du 12 juin au 16 septembre 2018 – Grand Trianon
#ExpoCotelle
Commissariat de l’exposition : Béatrice Sarrazin, Conservateur général, Chef du département Peintures et Arts graphiques au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Catalogue de l’exposition : Coédition château de Versailles / éditions Liénart. Disponible sur boutique-chateauversailles.fr