Deux œuvres de Cotelle montrent des parterres de fleurs très denses devant le péristyle du Grand Trianon. Entre sources documentaires et poésie, elles ont inspiré de nouvelles compositions pour la belle saison.
Elles s’ouvrent, se déploient puis dépérissent dans un lent ballet silencieux, traversé de couleurs : les fleurs offrent un spectacle mouvant, soumis à des caprices qui, aujourd’hui encore, nous échappent. C’est d’autant plus vrai pour les parterres où elles se trouvent confrontées, liées les unes aux autres dans la moindre averse, le plus imperceptible souffle… Retranscrire une composition florale ancienne à partir d’un tableau, image par nature figée, est néanmoins tentant. C’est le défi relevé par les jardiniers de Trianon pour accompagner l’exposition sur Jean Cotelle.
Le peintre, en effet, a laissé deux versions très proches, une gouache et un tableau, montrant, à la fin du XVIIe siècle, des parterres de fleurs bordant le Grand Trianon, à l’endroit même où sortiront les visiteurs de l’exposition. « Offrir un prolongement à leur expérience en faisant écho à ce qu’ils viendront de découvrir », c’est ainsi que Sophie Lemonnier conçoit ce projet. Depuis peu à la tête de la direction du Patrimoine et des Jardins du château de Versailles, Sophie Lemonnier avait déjà accompagné des projets similaires, pour les jardins des Tuileries, en s’inspirant de la programmation culturelle du musée du Louvre. Une exposition sur François Ier, notamment, avait donné lieu à une déclinaison de marguerites.
Exégèse des couleurs
Ici, il s’agit de s’inspirer directement d’une représentation précise, bien qu’il ne soit pas possible de parler de restitution : « Le dessin des parterres du Grand Trianon a changé depuis l’époque de Cotelle, explique Sophie Lemonnier, ainsi que les espèces végétales elles-mêmes. » Les deux œuvres du peintre sont, par ailleurs, assez difficiles à interpréter. Après restauration, on y reconnaît des fleurs plutôt hautes sur tige, dotées de couleurs tranchées, les parterres bas montrant un aspect plus blanc que les hauts.
Ces peintures, Coralie Beaune, qui œuvre au service des Jardins de Trianon et de Marly, les a scrutées longtemps pour tenter de repérer des plantes connues. « L’on pourrait, dans le bouquet au premier plan, identifier des delphinium, mais l’on n’est pas sûr, en réalité, de l’allure qu’avaient vraiment les végétaux de l’époque. En effet, bien que cités dans les textes anciens, ceux-ci ont pu évoluer, au fil des croisements, depuis.
Autre difficulté, et pas des moindres : comment rendre pérenne une telle vision, saisie à un instant donné, durant plusieurs mois, avec des dates de fleurissement et des durées de vie différentes selon les espèces ? Afin que les parterres restent ornés durant toute la belle saison, des plantes différentes se succéderont. C’est la répartition des coloris qui restera constante.
Bleu, blanc, rose
Des tableaux récapitulent, par bandes de dix mètres de long, l’alternance des plants qui composeront les parterres. De ces rectangles de couleur, le jardinier, en interprète virtuose, se sert comme de véritables partitions où interviennent également les différences de hauteur. Les déclinaisons de bleus tiendront à quatre différents types de sauges Salvia qui serviront de base aux parterres grâce à leur feuillage bien fourni. Les Lobelia participeront, de leurs colonnes dressées, à la structure de la composition. Pour la tonalité blanche, Coralie Beaune a choisi des valeurs sûres, à la plastique extrêmement raffinée : des Alstroemeria, des Agrostemma et des Ageratum.
Quant aux nombreux Cosmos – blancs et roses – ils appuieront leur silhouette gracile sur les Limonium sinuatum, aux airs de papier crépon. Avec un seul regret : impossible, avec les fleurs choisies pour rester proches des peintures, d’obtenir des parfums qui recréent l’atmosphère lourde de senteurs, si souvent décrite autrefois, des jardins du Grand Trianon. Il y a deux ans, les tubéreuses embaumaient à la fin de l’après-midi, au printemps dernier, les jacinthes. Cette année, ce sera une impression visuelle, très subtile, qui enchantera les visiteurs.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n° 13 (avril – septembre 2018).
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