Alors que la poule du Mans vient d’être accueillie au domaine de Trianon, toutes sortes d’oiseaux survolent le Parc de Versailles. Ancienne réserve de chasse, celui-ci est ainsi devenu un véritable réservoir écologique.
Au temps des rois, le château de Versailles possédait une célèbre ménagerie qui servit de modèle pour de nombreuses cours européennes, de l’Espagne aux Pays-Bas. Cette ménagerie abrita diverses espèces : Louis XIV appréciait les animaux exotiques qu’il montrait lors de ses fameuses promenades. Louis XV choisit d’étudier les animaux de la ferme, et sa ménagerie fut plus expérimentale. Louis XVI n’eut pas vraiment le temps d’en profiter ni d’organiser le transfert des animaux au Jardin des plantes comme il l’aurait souhaité.
C’est un peu dans l’esprit de Louis XV que le Château, reprenant à son compte la tradition de la basse-cour de conservation, a accueilli, en février dernier, deux poules noires du Mans et leur coq. Cette race ancienne, menacée d’extinction, dite « poule de chair » (par opposition à la poule pondeuse) fut réputée dès le XVIe siècle pour sa texture fine et son goût prononcé. Son alimentation, riche en sarrasin selon la méthode traditionnelle, lui valut d’être déjà recherchée par les cuisiniers de l’époque : « Trois pays de l’ancienne France se disputent l’honneur de fournir les meilleures volailles, à savoir : le pays de Caux, Le Mans et la Bresse1 ». Mais, que l’on se rassure pour ces innocents volatiles, et même si « les gros chapons du Mans sont estimés, tendres et de bon manger en tout lieu du royaume de France2 », ils ne finiront pas au pot, cher à notre bon roi Henri IV. Le domaine de Versailles aime ses oiseaux et préfère les savoir vivants et en bonne santé.
Il en va ainsi pour les poules de basse-cour, et il en est de même pour leurs cousins sauvages. Les faisans ont vu leur population augmenter de manière significative dans le parc du château de Versailles. Ce phénomène n’est pas le fait d’une introduction, mais d’un nouveau mode de gestion des bosquets de Trianon où ils nichent. Les sous-bois, auparavant régulièrement tondus, sont retournés à un état plus naturel. Ils forment désormais des ronciers où les volatiles trouvent refuge et peuvent élever des poussins qui viendront à leur tour enrichir la population. Ces quelques hectares comportent les trois types de surface dont les faisans ont besoin : sous-bois impénétrables pour le repos, aires dégagées pour les interactions sociales, et suffisamment de pelouses et d’arbustes pour se nourrir.
Un nouveau mode de gestion des bois qui protège le développement des espèces
Cette méthode de gestion cherche à allier le respect du patrimoine naturel à la modernité des approches environnementales. Les bois du château de Versailles ne sont plus considérés comme une réserve de chasse, mais comme un réservoir écologique. Ils constituent un havre pour de nombreuses espèces d’oiseaux, essentiellement ceux inféodés aux parcs et jardins et aux milieux agricoles ouverts.
Cette nouvelle façon de penser l’entretien du Domaine implique d’en connaître de manière précise la population aviaire. En effet, les oiseaux sont souvent très attachés à un type précis de milieu. Ils en sont des marqueurs importants de l’état général, indiquant la présence ou non d’insectes, d’arbustes nourriciers, d’arbres morts pouvant servir de nichoirs naturels, ainsi que d’autres renseignements utiles. La liste des espèces présentes dans un endroit donné (ici, le Grand Parc, composé de bosquets et de prairies) permet donc de faire des suppositions sur les différents milieux, l’âge des arbres du Domaine et leur état sanitaire, leur taux de mixité (feuillus et/ou résineux), les réserves mobilisables de nourriture en fonction des oiseaux relevés (insectivores, granivores, rapaces).
L’augmentation du nombre d’espèces et d’individus signifie que le milieu se développe et que la biodiversité s’améliore. Certains des oiseaux que l’on trouve dans les forêts en France sont assez exigeants : seul un massif en pleine santé peut les accueillir. C’est pourquoi nous serions heureux du retour de la tourterelle des bois, espèce des lisières forestières et de la forêt conduite en futaie jardinée3. La présence de cet oiseau gracieux et discret serait la preuve que nous avons su recréer un écosystème fonctionnel où l’on pourrait de nouveau entendre son chant délicat dans les espaces les plus reculés du parc de Versailles.
Des oiseaux d’eau attirés par le Grand Canal
Il est également amusant de constater que le parc accueille aussi des oiseaux d’eau, plus habitués des rivières, voire des rivages maritimes, que des massifs forestiers en milieu urbain. Les mouettes rieuses, les grands cormorans, les sternes pierregarin, les cygnes tuberculés, les canards colverts et les oies bernaches sont maintenant bien acclimatés à Versailles. Le Grand Canal attire ces oiseaux comme un cours d’eau, un lac, voire même la mer (toutes proportions gardées, naturellement). Avec les bosquets denses qui l’entourent, il fournit à toutes ces espèces le gîte et le couvert, d’où l’importance de conserver une couverture végétale abondante à proximité pour sécuriser les oiseaux en période de nidification.
Les modes de gestion d’un domaine forestier varient avec le temps. D’une réserve de chasse, au XVIIe siècle, nous sommes passés à un réservoir écologique. La prise en compte des besoins des animaux peut, et doit, être une nouvelle grille de lecture. Le bonheur des visiteurs s’en trouvera décuplé, associant ainsi la découverte d’un patrimoine paysager avec la surprise causée par la vue d’un animal sauvage en liberté.
Sylvain Parrot,
Technicien d’art, chargé de l’entretien du patrimoine arboré au Domaine de Trianon
1. A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, 1825.
2. Pierre Bellon, Histoire de la nature des oiseaux, Paris, 1555.
3. Bosquet comprenant des arbres de tailles, d’essences et d’âges différents.
Gallinacés revigorés
La poule de race Le Mans était largement répandue en France jusqu’à ce que des espèces plus productives viennent lui faire concurrence à la fin du XIXe siècle. Elle finit par disparaître au milieu du XXe siècle. C’est une association d’éleveurs de la Sarthe qui a relancé son développement depuis 2005 et ainsi permis, en 2014, la création d’un premier élevage spécialisé. En février dernier, deux poules et un coq étaient accueillis en grande pompe au domaine de Trianon qui ambitionne d’ouvrir un poulailler au Hameau de la reine.
Pied de grue pour un inventaire
Un inventaire des oiseaux nicheurs a été réalisé dans le Grand Parc, en 2015, puis en 2017, avec l’aide de M. Jean-Pierre Thauvin, ornithologue de l’Association naturaliste des Yvelines, selon le protocole des points d’écoute : un parcours reliant 15 stations depuis lesquelles ont été identifiées, à l’oeil et à l’ouïe pendant dix minutes, le plus d’espèces possibles. Avec les observations de terrain durant l’année, a pu être établie cette liste qui servira de base pour des travaux ultérieurs.
Oiseaux de parcs (jardins et milieu forestier ouvert)
• Bergeronnette grise
• Choucas des tours
• Corbeau freux
• Épervier
• Faisan de Colchide
• Geai des chênes
• Grimpereau des bois
• Grive draine
• Grive mauvis
• Grive musicienne
• Hirondelle rustique
• Martinet noir
• Merle noir
• Mésange bleue
• Mésange charbonnière
• Mésange nonette
• Mésange huppée
• Pic épeiche
• Pic vert
• Pie bavarde
• Pinson des arbres
• Pouillot véloce
• Rossignol progné
• Rouge-gorge familier
• Rouge-queue noir
• Sitelle torchepot
• Troglodyte mignon
• Vanneau huppé
• Verdier d’Europe
Oiseaux paludicoles (milieu aquatique)
• Canard colvert
• Cygne tuberculé
• Gallinule poule-d’eau
• Grand cormoran
• Héron cendré
• Mouette rieuse
• Sterne pierregarin
Oiseaux opportunistes (milieu urbain)
• Accenteur mouchet
• Corneille noire
• Étourneau sansonnet
• Oie bernache du Canada
• Perruche à collier
• Pigeon ramier
Rapaces
• Buse variable
• Chouette hulotte
• Faucon crécerelle
À VOIR