Le Grand Appartement de la Reine vient de rouvrir après plusieurs années de travaux. Marbres, ors et cristaux brillent de tous leurs feux, ravivés par une restauration ponctuée de découvertes.
Nous avons été privés pendant plus de trois ans du Grand Appartement de la Reine, l’une des parties les plus spectaculaires et populaires de la visite du Château. La redécouverte sera d’autant plus agréable que, à l’occasion de l’énorme chantier de mise en sécurité et de traitement climatique (lire encadré), un certain nombre de restaurations importantes ont pu être effectuées.
La salle des Gardes de la Reine : « l’un des plus beaux témoignages de l’état Louis XIV du Palais »
Pour l’une des pièces de l’appartement, il s’agissait même d’un chantier à part entière, mené à bien grâce au mécénat de la Société des Amis de Versailles et des American Friends of Versailles : la salle des Gardes de la Reine, l’un des plus beaux témoignages de l’état Louis XIV du Palais, a retrouvé l’éclat de ses marbres en même temps que la splendeur du plafond de Noël Coypel. Celui-ci, réalisé à l’origine pour le salon de Jupiter dans le Grand Appartement du Roi, à l’emplacement de l’actuel salon de la Guerre, a été longtemps sous-estimé en raison du piètre état de conservation de la partie centrale. En mettant au jour une couche originale largement dissimulée par les repeints, en lui rendant sa profondeur et la brillance de ses couleurs, la restauration a rétabli le dialogue entre cette apothéose du roi des dieux et les scènes occupant les lunettes qui l’entourent.
Celles-ci, consacrées à des grands hommes de l’Antiquité qui se sont particulièrement illustrés par leur engagement en faveur du peuple et des plus démunis, ne sont pas seulement des chefs-d’œuvre de la peinture classique, avec leur ordonnance parfaite et leur rhétorique, efficacement servie par le jeu de la lumière et du coloris. Elles méritent que le visiteur s’y attarde pour méditer sur la manière dont la monarchie absolue reprenait à son compte l’idéal démocratique de la Grèce et affichait parmi ses priorités le bien-être de son peuple. Ainsi Louis le Grand rendait-il hommage à Alexandre Sévère faisant distribuer du blé au peuple de Rome dans un temps de disette ou à Ptolémée Philadelphe rendant la liberté aux Juifs. L’ensemble éblouissant qu’offre aujourd’hui cet espace, dans sa somptueuse nudité de salle des gardes restée pour l’essentiel inchangée jusqu’à la Révolution, est aussi un superbe exemple de la manière dont le Château sédimente ses époques successives. Le décor sculpté des portes conserve des motifs du XVIIe siècle complétés sous Louis XVIII avec, notamment, les colliers de l’ordre du Saint-Esprit en partie haute.
La chambre de la Reine : un spectaculaire décor rocaille
L’autre pièce où l’on voit s’enchevêtrer les strates de l’histoire est naturellement la chambre de la Reine. Présentée toujours dans son « état Marie-Antoinette », elle est surplombée par ce vertigineux décor rocaille dont on sait qu’il a été créé pour Marie Leszczyńska, entre 1729 et 1735, en reprenant la structure de l’époque de Marie-Thérèse. Mais la restauration, qui a été effectuée en quelques mois à l’issue du chantier technique, a apporté son lot de surprises. D’une part, le décor de trompe-l’œil, dissimulé comme souvent sous d’épais repeints, a retrouvé toute sa subtilité, ses effets d’ombres, son délicat gris-bleu sur lequel se déploie l’illusion de ses reliefs dorés, rinceaux, croisillons, chiffre de la Reine et autres motifs. D’autre part, la modénature des compartiments de la voûte, que l’on croyait être une partie conservée du plafond Louis XIV, s’est avérée en carton-pierre, comme le reste du décor rocaille : le plafond avait donc été refait entièrement, ce qui signifie que Robert de Cotte et les Gabriel, en réalisant ce décor ultramoderne, y avaient repris tout naturellement des éléments caractéristiques du siècle précédent, avec ces fortes bordures qui compartimentent le plafond en rappelant les quadri riportati1 à l’italienne.
Voici donc un nouvel exemple de la persistance des codes du XVIIe siècle dans le décor de l’époque Louis XV. Quant aux panneaux de boiserie, qui présentaient un état de conservation médiocre et avaient beaucoup souffert de l’intensité des flux de visiteurs dans cette partie du Château, ils ont fait l’objet d’une réintégration de la dorure et d’un rechampissage rétablissant un ton blanc-gris plus conforme à la réalité historique que les multiples couches posées au fil du XXe siècle qui tiraient vers le jaune.
Des œuvres également restaurées
C’est donc bien une nouvelle chambre de la Reine que le public va redécouvrir, avec ses œuvres d’art restaurées également pendant la période de travaux, comme les extraordinaires portraits en tapisserie de Cozette ou les grisailles de Boucher appartenant au décor du plafond. Parmi les spectaculaires restaurations liées à cet appartement, citons enfin la sublime pendule aux sultanes du comte d’Artois, présentée dans le salon des Nobles et flanquée des irrésistibles candélabres aux autruches. Ces bronzes dorés véritablement ressuscités pourront exercer toute leur magie devant la tenture de damas vert pomme, retissée pour l’occasion. En attendant le prochain grand projet de remeublement, celui des appartements du Dauphin et de la Dauphine, qui comprendra un grand nombre de nouveautés et d’améliorations majeures, la réouverture du Grand Appartement de la Reine ressemble davantage à des retrouvailles, mais les plus familiers du Château seront eux-mêmes étonnés de sa splendeur.
Laurent Salomé,
Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1. « tableaux rapportés », c’est-à-dire que les scènes peintes, encadrées en trompe-l’œil, sont traitées au plafond comme des tableaux de chevalet.
Un grand chantier pour protéger le Château
La réouverture du Grand Appartement de la Reine, de l’appartement de Madame de Maintenon et de celui de la Dauphine marque l’aboutissement de l’opération de modernisation et de mise en sécurité de la partie sud du Château. Ces travaux d’envergure, sous la houlette de l’Architecte en chef des monuments historiques Frédéric Didier (agence 2BDM), visaient à prendre les dispositions indispensables pour préserver le public et les collections d’un risque d’incendie : mise aux normes des réseaux d’électricité, installation d’une détection incendie et de recoupements coupe-feu, création de locaux techniques, balisage de l’évacuation, mais également déploiement d’équipements de sûreté (vidéosurveillance et contrôle des accès) et modernisation du traitement climatique. En effet, les importantes variations de température et du taux d’humidité des pièces portaient préjudice aux œuvres. Le nouveau système de traitement d’air atténue efficacement ces écarts en réagissant suivant les conditions climatiques et la fréquentation des lieux. Le tout avec la plus grande discrétion, derrière les murs, sous les parquets.
À VOIR
Le Grand Appartement de la Reine, dans le cadre de la visite du Château de Versailles.