Cet automne a été mise en ligne la base « Visiteurs de Versailles » qui recense les textes laissés à la postérité par les étrangers venus du monde entier voir le château. Depuis l’installation de Louis XIV à Versailles jusqu’à la Belle Époque, lettres, mémoires, articles de journaux apportent autant de précieux témoignages, identifiés selon de multiples critères.
Le Centre de recherche du château de Versailles travaille depuis un an et demi à cette base de données pour laquelle il s’est donné les moyens de la rendre la plus claire et accessible possible. Le grand public comme les chercheurs sont invités à se plonger dans ce corpus réuni, au départ1, par Flavie Leroux qui a coordonné le projet. « Ce qui est très intéressant, c’est que ces visiteurs venus de loin ont porté un regard différent sur la Cour et fourni des informations que les Français n’ont pas pris forcément la peine de préciser, explique la jeune docteure, en revanche, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’impressions subjectives qui ont pu être influencées par le contexte, comme ces émissaires qui évitent de s’attirer la colère de leur souverain en manifestant trop d’enthousiasme pour Versailles : ceux-ci font preuve de grande sévérité dans leurs comptes rendus. »
Une très grande variété de témoignages
Les points de vue restent, néanmoins, très divers, ne serait-ce qu’en raison de l’origine géographique de leurs auteurs. Une grande partie d’entre eux (plus de 55 % des textes référencés) provient des terres anglo-saxonnes avec, en tête, les Anglais, puis les Américains qui se sont beaucoup exprimés au XIXe siècle. Les profils des auteurs frappent également par leur variété, depuis la jeune Américaine Martha Babcock Amory correspondant avec sa mère ou les étudiants sur le chemin du Grand Tour jusqu’aux envoyés diplomatiques les plus officiels. Certains témoignages, rares, mais particulièrement précieux, émanent de personnes de modeste condition tel ce bouffon accompagnant son maître.
La base de données propose de nombreuses entrées de recherche en lien avec les auteurs, mais aussi les lieux et les personnages évoqués dans leurs écrits. Il est également possible de se renseigner à travers les événements, petits et grands, qui ont marqué l’histoire du Château, depuis le rituel de la journée du Roi jusqu’à ses instants les plus cruciaux, en passant par des sujets étroitement liés à Versailles comme les amours royales.
Les sujets récurrents sur Versailles
L’analyse des occurrences a mis en lumière des constantes, avec, en tête, les dépenses somptuaires du Roi (109 occurrences) ou les journées des 5 et 6 octobre 1789 (78 occurrences). Le système hydraulique alimentant les bassins et la machine de Marly, la vanité des souverains français et l’idolâtrie de leurs sujets, Marie-Antoinette et sa vie champêtre à Trianon font aussi partie des sujets de prédilection. Les façades du château, la Grande Galerie (aujourd’hui galerie des Glaces), les chambres du Roi et de la Reine, la Chapelle, l’Opéra ou les jardins figurent parmi les lieux les plus présents dans ces textes à travers lesquels s’élabore un véritable mythe. Car, au-delà de tout ce qui est décrit, parfois très précisément, se manifeste tout ce qui a été fantasmé, avec des scènes parfois tout à fait improbables, tel ce dîner entre Richelieu et Mazarin dans le salon d’Hercule rapporté au XIXe siècle.
Les curieux s’amuseront des heures à parcourir cette base, les chercheurs s’y régaleront grâce à des notices particulièrement détaillées qui les conduiront à leur but par les chemins les plus confortables. Un workshop, puis un colloque sont organisés pour attirer leur attention sur cet outil puissant et les encourager à travailler sur Versailles. Avec un secret espoir : que ces chercheurs extérieurs au Château fassent également partager leurs sources, notamment manuscrites, à l’exemple de ces deux collègues suédois qui, spontanément, ont transmis deux textes qu’ils avaient dénichés. Ainsi pourrait se développer, autour du mythe de Versailles, un réseau international, à l’image de celui qui fait l’objet de cette base de données.
Lucie Nicolas-Vullierme, rédactrice en chef des Carnets de Versailles
1 Pour le programme de recherche « Identités curiales et le mythe de Versailles en Europe : perceptions, adhésions et rejets (XVIIIe-XIXe siècles) » du CRCV.
À SUIVRE
Workshop « Récits de voyages à Versailles, XVIIe-XIXe siècles » à Versailles, 23 mars 2020.
Colloque « Le mythe de Versailles et l’Europe des cours, XVIIe-XXe siècles », au château de Versailles, les 17, 18 et 19 juin 2021. Appel à contribution jusqu’au 31 octobre 2020.
À LIRE ÉGALEMENT
«Quand les Allemands venaient voir Versailles », par Hendrik Ziegler, professeur en Histoire de l’Art moderne et contemporain, Philipps-Universität Marburg et université de Reims Champagne-Ardenne.