magazine du château de versailles

Eaux de Seine, eaux blanches et « bonnes à boire »

Il faut de l’eau, beaucoup d’eau pour les projets de Louis XIV, mais aussi pour abreuver la Cour et tous les habitants de Versailles. Inventaire des sources d’approvisionnement.

Vue de la Machine de Marly, de l’aqueduc et du château de Louveciennes, par Pierre-Denis Martin, XVIIIe siècle.
L’apogée de la mécanique hydraulique est la machine de Marly, qui élève l’eau de la Seine jusqu’au coteau de Bougival, 160 mètres au-dessus, pour ensuite la conduire à Marly et Versailles. © Château de Versailles / Jean-Marc Manaï.

En 1683, quand Louis XIV et la Cour emménagent définitivement à Versailles, le chantier des eaux de Versailles bat son plein pour amener de l’eau au palais. Au nord, on est en train de construire la machine de Marly qui doit apporter l’eau de la Seine. Au sud, le réseau des étangs et rigoles s’agrandit presque jusqu’à Rambouillet pour faire jaillir les Grandes Eaux. Le réseau des « eaux bonnes à boire » est déjà achevé pour fournir de l’eau de source au monarque. Car les rois de France ont toujours eu le souci d’approvisionner Versailles en eau, et cela dès le règne de Louis XIII.

L’âge des pompes et des moulins (1639-1685)

Louis XIII disposait d’un château parfaitement équipé sur le plan de l’hydraulique avec un double réseau d’approvisionnement, à savoir un réseau de sources pour sa table et les offices, l’eau d’un étang alimenté par les pluies et ruissellements pour les fontaines.

En 1664, lorsque Louis XIV se lance dans les premiers travaux d’aménagement de Versailles, les besoins en eau augmentent. La solution technique de la mécanique hydraulique des pompes et moulins n’est pas viable. Sur-sollicités par les fréquents séjours du Roi et de la Cour, les mécanismes n’arrêtent pas de casser1. Finalement, toutes les pompes et moulins de Clagny et de la Bièvre sont entièrement détruits en 1684- 1685, lorsque l’eau des étangs artificiels de Trappes et de Saclay, nouvellement construits, arrivent en abondance à Versailles.

Des étangs et rigoles pour les Grandes Eaux (1678-1689)

En mars 1679, un mémoire des Bâtiments du Roi calcule que les étangs de Trappes, de Bois-d’Arcy et des Gressets sont pleins. Une solution doit être trouvée. Il faut revenir à l’hydraulique gravitationnelle des aqueducs romains, soit souterrains, soit sur arches pour franchir les vallées. Tout le sud de Versailles se couvre d’étangs artificiels pour les besoins du Roi entre 1678 et 1689.

Bassin de Latone, détail. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Les nombreux mémoires et instructions donnés aux fontainiers distinguent clairement deux usages, deux modes de fonctionnement des fontaines. D’abord, au quotidien, « les fontaines que l’on ouvre dès le matin », « les fontaines qui doivent aller toujours à Versailles » : jets d’eau du parterre, du bassin de Latone, de la Pyramide, des Couronnes, d’Apollon… visibles depuis le Château et dans les grands axes de perspective. Ensuite, la promenade du Roi, « lorsque le Roi est dans le Petit Parc » ou bien « lorsque des personnes considérables [sont] dans le Parc ou auxquelles Sa majesté [a] ordonné de faire voir les eaux » ; l’équivalent de nos Grandes Eaux où là, on fait jouer les fontaines de tous les bosquets.

Le réseau des « eaux bonnes à boire »

Versailles disposait aussi d’un réseau spécial d’approvisionnement en eau potable : le réseau des « eaux bonnes à boire », construit de 1676 à 1682. En effet, au nord du Château, les cinq aqueducs de Rocquencourt, Bailly, Bel-Air et Glatigny collectaient les eaux de source en contrebas pour alimenter le palais, les Écuries du Roi et de la Reine, ainsi que les fontaines publiques. L’eau circule de préférence dans des « tuyaux de grès », en terre cuite, spécialement destinés au transport de l’eau potable, à la différence des tuyaux de fonte ou de plomb qui servent pour les fontaines. Il faut savoir que ce réseau des « eaux bonnes à boire » a fonctionné durant deux siècles, jusqu’à la guerre de 1914-1918, où il fournissait encore 120 mètres cubes par jour à la ville de Versailles.

Canalisations passant sous terre pour les fontaines. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Le plus grand des aqueducs, l’aqueduc de Rocquencourt ou du Trou d’Enfer, à quarante mètres de profondeur sous le plateau, long de 3,492 km et avec cent puits de visite, alimentait spécialement le Château et fournissait près de 20 pouces d’eau par jour soit 400 m3.

La ville et les habitants de Versailles sont aussi gratifiés par le Roi d’ « eaux bonnes à boire » au moyen de fontaines publiques. Au départ, le Roi avait fait construire une première fontaine sur la place du marché, mais elle s’avère vite insuffisante, au point qu’en 1681, d’après les Comptes des bâtiments du Roi, le serrurier Boudet doit poser « des barrières et tourniquets autour de la fontaine du marché » pour éviter les bagarres et bousculades. En conséquence, les Versaillais ne sont pas vraiment mieux lotis que les Parisiens, mais au moins disposent-ils à la fontaine publique d’une eau de source plus propre, moins polluée et donc plus salubre que l’eau des puits ou des cours d’eau urbains.

Une hiérarchie sociale de l’eau potable

Versailles disposait donc de trois sources différentes d’approvisionnement en eau qui n’avaient pas du tout la même qualité ni la même valeur sociale. Les « eaux bonnes à boire », pures et parfaitement potables, étaient rares et réservées en priorité au Roi, aux écuries royales et aux premières fontaines publiques.

Vue de la Machine de Marly, de l’aqueduc et du château de Louveciennes [détail], par Pierre-Denis Martin, XVIIIe siècle.
© Château de Versailles / Jean-Marc Manaï.

L’eau de Seine, élevée par la machine de Marly, considérée à l’époque comme parfaitement potable, est de plus en plus distribuée au XVIIIe siècle dans la ville et les services royaux. Mais en 1734, après une grave épidémie de typhoïde due au fait que, par manque d’eau, les porteurs d’eau avaient dû s’approvisionner dans les bassins du Parc, la machine de Marly est réservée en priorité à l’approvisionnement régulier des fontaines publiques. Le problème est que cette source d’approvisionnement en eau diminue de plus en plus au fil du temps, inexorablement, avec la dégradation et les difficultés d’entretien de la machine de Marly.

À la veille de la Révolution, les captages d’eau de source sont trop ensablés pour produire, les concessions d’eau qui consomment eau de Seine et « eaux blanches » des étangs se sont tellement surmultipliées que la disette d’eau est généralisée. Il n’y a même plus assez d’eau des étangs pour faire jouer les Grandes Eaux lors de certaines réceptions officielles. Les Bâtiments du Roi sont impuissants face au problème et paralysés par le déficit abyssal des finances royales.

Finalement, la question est tranchée brutalement par la Révolution française. C’est la fin pour un temps des Grandes Eaux, Versailles devient un palais vide et la ville de Versailles, qui a perdu énormément d’habitants elle aussi, peut alors disposer de tout le volume d’eau disponible.

Éric Soullard,
Enseignant, docteur en histoire

1 Les moulins à eau consomment des milliers de vis par an afin de remplacer celles qui cassent.


À VOIR


POUR EN SAVOIR PLUS sur l’hygiène au château de Versailles, les explications de l’historien Mathieu da Vinha :

https://www.facebook.com/chateauversailles/videos/504234876938829/


À LIRE

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 29 de la revue Château de Versailles (avril-juin 2018). La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château

 

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