Les visiteurs qui se pressaient à Versailles sous l’Ancien Régime étaient curieux de découvrir les lieux, mais également de voir se déployer le théâtre de la Cour. Comment obtenir d’assister à ses moments les plus spectaculaires ? Réponse avec plusieurs témoignages rassemblés dans la base « Visiteurs de Versailles », mise à disposition par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV).
Si le passage du Roi et de la famille royale est le moment le plus propice pour les apercevoir, reste que nombre de visiteurs souhaitent également prendre le temps de les observer plus finement, tout en appréciant la pompe déployée par la Cour. Les rituels les plus recherchés à cet effet : la messe et le Grand couvert.
« Beaucoup d’étrangers poussés par la curiosité »
Le repas qui réunit le Roi, la Reine et les enfants de France se tient généralement dans l’Antichambre de la Reine (dite aussi du Grand couvert)1. La salle déçoit souvent les visiteurs, qui la trouvent « très sale et très délabrée » (Daskova, vers 1770) ou encore « petite et remplie par la foule » (Collier, 1773). La table dressée, placée derrière une balustrade, restreint l’espace de cette pièce déjà relativement étroite ; en tout, l’endroit peut accueillir environ une centaine de personnes, sachant que les premiers rangs sont réservés aux tabourets dont bénéficient les duchesses ayant le privilège de s’y asseoir.
Le hessois Friedrich Justinian von Günderrode décrit en 1774 le lieu et les motivations des spectateurs :
« […] il y a toujours beaucoup de personnes qui se tiennent là, en partie pour rendre hommage, et beaucoup d’étrangers poussés par la curiosité, car là est la seule occasion de voir de près la famille royale réunie, si l’on ne peut pas être présenté autrement ».
Avec une pointe d’ironie, Johann Grimm ajoute que la foule se masse pour « venir voir si les princes les plus chrétiens de la terre mangent la même chose que leurs sujets ».
L’accès à ce rituel pose donc un problème de taille : les places, peu nombreuses, sont très demandées. C’est pourquoi, comme le précise le Britannique Arthur Young, « les officiers à la porte de la chambre où le roi dîna ne permirent pas indistinctement à tout le monde d’entrer ».
Intercessions
Ainsi, les visiteurs étrangers souhaitant être présents doivent arriver avant les convives (21h00 en général) et, de préférence, se faire introduire par un intermédiaire – idéalement un garde ou une personne officiant sur place. C’est ainsi que le gallois Thomas Pennant procède en mars 1765 : il requiert par deux fois la médiation du comte de Marsy, capitaine des gardes. D’autres, plus simplement, se font conduire par des amis de même nationalité, habitués de la cour ou habitant Versailles, comme Sophie von La Roche, qui se fait accompagner de Monsieur ou Madame Pfeffel.
Mieux encore : certains se font introduire par de grands aristocrates français, à l’exemple d’Arthur Young, recommandé par le duc de Liancourt avec qui il prend le petit-déjeuner et dont il fréquente d’ailleurs l’appartement. Il est également possible de faire jouer ses relations avec les élites étrangères, à l’instar du peintre Johann Christian von Mannlich qui parvient à obtenir une place au Grand couvert en faisant valoir ses liens avec le duc des Deux-Ponts.
Les plus privilégiés restent ceux introduits par un ambassadeur, voire présentés à un prince (plus souvent une princesse) venu(e) du même royaume ou de la même principauté. Les visiteurs polonais sont ainsi particulièrement bien accueillis par la reine Marie Leszczynska ; tout comme les visiteurs germaniques, sous le règne de Louis XIV, grâce à la belle-fille et à la belle-sœur du roi, Marie-Anne-Christine de Bavière, et la duchesse d’Orléans, dite Madame Palatine.
Coups de chance et pots-de-vin
Mais tous n’ont pas cette chance. Certains profitent d’une rencontre fortuite, comme Carl Gottlob Küttner, qui, en 1787, découvre les lieux et peut voir la famille royale grâce à un maître des requêtes présent sur place, resté anonyme : « J’ai alors fait ici l’expérience d’un exemple frappant de la courtoisie et de l’obligeance qui sont si délicieusement propres au Français […] ».
« J’ai alors fait ici l’expérience d’un exemple frappant de la courtoisie et de l’obligeance qui sont si délicieusement propres au Français […] ».
Même s’ils ont conscience que cela est en principe interdit, d’autres proposent des pots-de-vin aux gardes, tel Johann Friedrich Karl Grimm, qui verse 6 livres à un garde suisse. D’autres enfin forcent le passage, à l’exemple du médecin suédois Roland Martin en 1755 : « Le garde ne prenait la peine de ne laisser entrer qui que ce soit. Les étrangers, me dit-il, pouvaient encore moins espérer qu’on les laisse insister s’ils n’avaient pas été présentés. Après lui avoir parlé aussi poliment et gentiment que possible, on m’a finalement laissé entrer ».
Flavie Leroux,
Attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
1 Sur le Grand couvert, voir Catherine Arminjon et Béatrix Saule (dir.), Tables royales et festins de cour en Europe (1661-1789), Paris, La Documentation française-École du Louvre, 2004.
Conseils de Nemeitz : médiations et subterfuges
« Si les solennités se font à la Cour, on a ordinairement quelque peine d’être admis par la Garde en tous lieux, à cause de la multitude d’hommes, qu’il y a là ; alors il est très-bon de connaître l’un ou l’autre Officier de la Garde, quelque Introducteur des Ambassadeurs, quelqu’un des Maîtres d’Hôtel, ou des autres hauts Officiers de la Cour, qu’on prie de nous faire passage en de semblables occasions. Car il ne sert pas toujours de dire, qu’on est étranger, ni même de se mettre à parler Allemand aux Suisses, qui gardent alors ordinairement l’entrée des appartements, les faisant ressouvenir du lieu de sa naissance. C’est selon l’humeur de ces gens-là, les honnêtes et les brutaux sont pêle-mêle. »
Néanmoins, tous les voyageurs étrangers ne disposent pas d’un tel réseau. Il leur faut alors procéder autrement :
« Un homme qui n’a point de connaissance du tout à la Cour, doit rester dans la Galerie ou dans quelque Antichambre, jusqu’à ce qu’un des Princes ou quelque autre grand Seigner va passer. Ces personnes sont ordinairement suivies d’un grand train, et alors on se peut fourrer insensiblement dans cette suite, et entrer de cette façon avec elle. Un habit chamarré est d’un très-grand effet en ces occasion : il donne un peu plus d’air qu’un uniforme, et fait d’ordinaire l’impression sur les Gardes, pour vous prendre pour un Officier […]. Que si par hasard on dût être reconnu par la Garde, et qu’elle sût qu’on n’est pas de la suite, alors il est assez de temps pour dire qu’on est étranger et qu’on voudrait volontiers être un des Spectateurs de la Solennité ; auquel cas il se peut, qu’un ou autre des Cavaliers qui y sont, prenne votre parti et qu’il vous défende contre une Garde incivile. »
À LIRE
Catalogue de l’exposition « Versailles et les tables royales en Europe, XVIIe – XIXe siècles », Versailles, Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, 3 novembre 1993-27 février 1994, dir. Béatrix Saule, Jérome de La Gorce, Gérard Mabille et al., Paris, Réunion de musées nationaux, 1993.
La base de données
« Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les rituels et cérémonies du quotidien royal.