Une fois passée l’attente et après avoir vu le Roi traverser la galerie des Glaces, place au spectacle. Chacun se précipite vers la Chapelle pour assister à l’un des grands moments du quotidien de la Cour : la messe. Qu’en ont retenu les visiteurs étrangers ? Souvenirs enthousiastes et marques d’étonnement selon la base de données « Visiteurs de Versailles », publiée par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV).
La messe du Roi attire déjà les foules au point que les places dans la Chapelle viennent rapidement à manquer. Plus encore, les courtisans comme les visiteurs venus de province ou de l’étranger se pressent à l’occasion des événements exceptionnels : mariages, Saint-Louis, jour de l’An ou encore grandes fêtes de la liturgie chrétienne.
« Les portes du Ciel s’étaient ouvertes »
Dès le début de la cérémonie, le ton est donné. L’entrée du Roi, au son des tambours, marque les esprits, au point que certains, comme Samuel Romilly en 1781, n’hésitent pas à employer une métaphore militaire : « les tambours retentirent et secouèrent le bâtiment, comme s’ils devaient annoncer l’approche d’un conquérant ». Quelques années auparavant, l’Anglais Philip Thicknesse fut tellement impressionné qu’il « pensait vraiment que les portes du Ciel s’étaient ouvertes ».
Après l’entrée en fanfare, les spectateurs notent l’endroit où le Roi s’installe : dans la tribune centrale, sur l’un des côtés opposés à la reine ou au milieu, et lorsqu’il reçoit la communion ou entend un sermon, en-dessous, face à l’autel. Certains voyageurs attentifs remarquent l’organisation hiérarchique qui régit l’attribution des places de la famille royale, à l’instar de Sacheverell Stevens ou encore du baron de Pöllnitz, qui précise que les princes et princesses étaient « appuyés sur la même balustrade que le Roi, mais entièrement éloignés de son drap de pied ».
La messe en musique
Pendant la cérémonie, un élément frappe tout particulièrement la plupart des visiteurs étrangers : la musique. Les adjectifs dithyrambiques utilisés pour la décrire ne manquent pas : « si renommée » pour Bonnell en 1684, « excessivement belle » pour Stevens en 1738, « extraordinaire » pour Grimm en 1774, « excellente » pour Cognel en 1787 – pour n’en donner qu’un florilège. Philip Thicknesse, décidemment toujours admiratif, considère que « rien ne peut se concevoir de plus digne d’un grand Roi qui offre ses prières au Roi des Rois que ce chœur céleste ». Wilhelm Ludwig Steinbrenner s’en convertirait presque au catholicisme : « La musique que j’ai entendue était excellente et tout à fait conçue pour accorder le cœur et l’esprit à la plus pure dévotion ».
Certains relèvent néanmoins, parfois, des mauvaises notes. Le napolitain Giovanni Gemelli Careri, de passage en 1686, moque par exemple les voix (qui « n’étaient pas la meilleure chose du monde ») et la composition, « si dépourvue d’art et d’invention, […] que notre savant et habile Tommaso Carapella en aurait ri pendant un bon moment ». Un siècle plus tard, en 1786, autre avis mitigé de l’aristocrate anglaise Frances Anne Crewe : « la musique était belle mais, à mon avis, les tambours et les violons gâchaient l’effet que les chœurs devraient avoir ».
Une jolie marquise pour faire la quête
La messe attire les spectateurs pour sa musique, mais également pour ses rituels, qui peuvent étonner, amuser voire déranger. À cet égard, le plus marquant est le moment de l’Élévation, durant laquelle toute l’assemblée doit s’agenouiller, de même que le Roi, pour rendre hommage aux Saintes Espèces (voir encadré). Ceux qui y manquent sont rappelés à l’ordre par les gardes qui, selon Thomas Pennington, « crient à genoux, à genoux et vous forcent avec leurs hallebardes si vous n’obéissez pas ».
Autre moment, source de surprise : la quête. Elle amuse les spectateurs étrangers, car elle est souvent réalisée par une dame de la cour, de préférence jolie, par exemple la marquise de Charlus, que le comte de Pembroke décrit comme « vraiment belle » et jouant « son rôle admirablement bien ». Le peintre Johann Christian von Mannlich se dit quant à lui « fort surpris », mais pas dupe : « le curé avait bien calculé, car on mettait quantité de petits écus dans la bourse de cette belle dame, tandis qu’un laideron n’aurait pas recueilli six sols ». Sacheverell Stevens est lui aussi étonné, mais pour une autre raison : la quête est alors confiée à la fille aînée de Louis XV, Marie-Louise-Élisabeth. Il trouve d’abord que c’est un « bas office pour une princesse », mais finit par l’approuver, « informé qu’il s’agissait d’une ancienne coutume et que l’argent collecté était ensuite utilisé à des fins charitables ».
Impressions générales
Généralement, la messe à Versailles plaît et impressionne, d’abord parce qu’elle permet de voir le Roi dans toute sa splendeur. Beaucoup relèvent la beauté des décors, la solennité du service et la pompe de l’assemblée, à l’instar d’Adam Walker, pour qui « la vue était terriblement splendide ». Le Dr. Jeans, en 1775, va encore plus loin : « l’effet […] était certainement suffisant pour susciter l’enthousiasme d’un esprit superstitieux, mais pour ceux qui adorent le dieu de la douceur et de la simplicité, il ne se prêtait qu’à la vénération ».
À noter tout de même, là aussi, quelques opinions contradictoires, comme celle de Pembroke qui a trouvé la messe « excessivement ennuyeuse ». La brièveté du service déplaît enfin à Samuel Romilly, qui y voit un message politique : « les rois sont tellement respectés dans ce pays que même la religion leur impose des cérémonies moins fastidieuses qu’au peuple ».
Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
À genoux !
L’obligation de s’agenouiller devant l’hostie et le calice se révèle souvent pénible, et même parfois insupportable, pour les étrangers de foi protestante, comme le note très justement Volkmann sous le règne de Louis XVI. Certains s’exécutent tout de même, comme Johann Friedrich Karl Grimm en 1774 : « tout le monde devait se mettre à genoux, ce qui était doublement difficile pour moi sur le dur pavé de marbre ».
D’autres refusent catégoriquement et préfèrent quitter la Chapelle plutôt que de se soumettre. C’est le cas notamment du Danois Jacob Benignus Winslow en 1698 : « Mes camarades, qui étaient de la même religion que moi, se mirent sans façon à genoux pour ne pas manquer à leur curiosité ; j’en sortis aussitôt, très mécontent de leur lâcheté et ensuite leur en fis des reproches ». Le comte hongrois József Teleki fait de même le jour de l’An 1761, comme il en témoigne dans son journal : « J’aurais pu tout voir, mais sachant qu’il n’y aurait que la messe, après avoir regardé l’église et prétextant le froid, je suis sorti. Pendant la messe (on en dit trois) bon gré, mal gré j’aurais dû m’agenouiller, ce que je ne voulais pas ».
Il arrive enfin que certains manquent à l’usage plus par maladresse que par conviction, comme Alessandro Verri en 1766 : « ne connaissant pas les divins usages […], j’étais debout à ce moment-là, et aussitôt le garde me fit signe militairement de m’agenouiller ; il n’y a point de remède, il faut prendre patience ».
À LIRE ÉGALEMENT :
- Sur les chapelles royales à Versailles : Alexandre Maral, « L’étonnante destinée d’un édifice provisoire : la chapelle royale de Versailles entre 1682 et 1710 », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 2011 et La Chapelle royale de Versailles: le dernier grand chantier de Louis XIV, Paris, Arthéna, 2011.
- Sur la messe : Alexandre Maral, La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV. Cérémonial, liturgie et musique, Wavre, Mardaga, 2010 (rééd.).
La base de données « Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les rituels et cérémonies du quotidien royal.