magazine du château de versailles

Versailles,
chantier permanent

Alors qu’un nouveau chantier s’annonce à Versailles en 2013 – que nous évoquerons lors du prochain numéro –, Franck Ferrand, historien, nous raconte le « chantier perpétuel » qu’est le Château depuis le XVIIe siècle.

La gare ferroviaire de Versailles-Chantiers, le long de la rue des Chantiers, dans le quartier des Chantiers… Ces noms bien connus des Versaillais sont un vestige du XVIIe siècle, lorsque cette zone, sise au sud-est du domaine royal, n’était que terrains vagues, où une armée d’ouvriers s’activait au calibrage et au polissage des pierres destinées au Château. Aussi bien « Versailles chantiers » pourrait-il être un surnom du monument lui-même, sans cesse en travaux depuis Louis XIV, constamment semé d’échafaudages, de coffrages divers et de bâches de protection.

Vue du château et des jardins de Versailles, prise de l’avenue de Paris, [détail] par Pierre Patel, 1668. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin.

Si l’on excepte les constructions initiales de Louis XIII, les grands travaux ont commencé avec le règne de son fils, pour prendre une dimension inédite à la fin de la décennie 1660. À cette époque, l’équipe réunie naguère à Vaux par le surintendant Fouquet a persuadé le jeune souverain d’encadrer le charmant castel de Versailles d’une « enveloppe neuve » qui, côté jardins, lui donnera fière allure. De 1679 à 1689, des constructions pharaoniques – ailes des Ministres, Petite et Grande Écurie, nouvelle orangerie, ailes de retrait du Midi et du Nord – rendues nécessaires par l’installation à demeure de la Cour et du Gouvernement, donnent à Versailles l’allure du plus grand chantier d’Occident.

Un ouvrage publié en 2002 par Frédéric Tiberghien – Versailles, le chantier de Louis XIV, 1662-1715 – raconte l’aventure inouïe de ces dizaines de milliers d’hommes occupés à remuer des millions de mètres cubes de terre, à ériger des milliers de tonnes de pierre, à poser 120 000 de mètres carrés de toitures… On y observe la naissance d’une organisation déjà moderne des travaux publics, l’essai de techniques nouvelles et parfois révolutionnaires, et même la mise en place d’un embryon d’assurance sociale ! On y découvre aussi à quel prix – humain et financier – Versailles s’imposa comme le grand chantier du siècle et l’un des principaux de l’Ancien Régime.

À cette aune, les successeurs du Grand Roi – Louis XV et Louis XVI – se montreront modestes. Hormis d’incessants aménagements de confort – qui affectent surtout les cours intérieures – le Bien-Aimé ne touche guère au chef-d’œuvre de son bisaïeul. Il faut attendre la fin du règne et la faveur de Mme Du Barry pour voir les échafaudages reprendre possession des lieux : on érige une « Aile neuve » au nord de la cour Royale, amorce d’un remaniement avorté des façades, côté Ville ; Louis XVI hésitera longtemps et ne mènera pas à son terme le « grand dessein » de l’architecte Gabriel. La Révolution va l’en empêcher.

« On se figure qu’à partir de 1789, le domaine des rois entre dans une léthargie séculaire, excluant les chantiers d’envergure. C’est une erreur. »

Démolition du pavillon du bout de l’aile vieille sur les cours d’honneur du château de Versailles, en 1814, par Pierre Drahonet. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin.

Or, très souvent, on se figure qu’à partir de 1789, le domaine des rois entre dans une léthargie séculaire, excluant les chantiers d’envergure. C’est une erreur. Les régimes qui, depuis la chute de la Monarchie absolue, en 1792, se sont succédé en France ne vont cesser, au contraire, de lancer à Versailles de grands, parfois très grands, chantiers. Napoléon restaure et modifie l’immense façade sur les jardins ; Louis XVIII entreprend une remise en état ambitieuse, incluant la réfection de toutes les huisseries – il ordonne aussi l’érection d’un nouveau pavillon en pendant de celui de l’Aile neuve. Sous Louis-Philippe, Versailles devient le passe-temps du roi-citoyen qui engloutit dans l’immense chantier de ses « galeries historiques » une belle part de ses fonds personnels. Et si la Deuxième République et le Second Empire se désintéressent à peu près des lieux, ceux-ci deviennent à nouveau, une fois rétablie la République, une des préoccupations centrales de la politique patrimoniale.

Coupe sur les salles de l’aile du Nord de la galerie de Pierre. Des salles des Croisades et de Constantine dans l’aile du Nord. Ordonné par le roi Louis-Philippe. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin.

Les campagnes de rénovation de la Belle Époque, de sauvegarde des années 1930 – en partie financée par John Davison Rockefeller Jr – et des années 1950 – à l’initiative du secrétaire d’État André Cornu –, ainsi que les plus récentes lois-programmes, sont à l’origine de travaux énormes, gages de la bonne santé des édifices. De sorte qu’il n’est pas exagéré de dire qu’à de rares exceptions près – celles des années 1740, 1850 et 1960 notamment – le Château n’a quasiment jamais cessé d’être la proie des entrepreneurs.

Cela pose forcément la question de son authenticité : quelle est, dans les éléments qui le constituent aujourd’hui, la proportion de pierres, de briques et d’ardoises d’origine ? Il y aurait fort à parier qu’elle est faible. Pour autant, cela ôte-t-il une once d’émotion à ce que ressentent les visiteurs en le découvrant, sans cesse plus sain, plus brillant ? C’est peu probable, tant il est vrai que l’authenticité de Versailles réside dans son esprit plus que dans sa matière, dans la magie de ses proportions et non dans celle de ses vestiges. Versailles ne serait plus Versailles sans l’éclat voulu par son créateur ; il ne le serait pas non plus sans les chantiers qui sont une part de lui-même.

Franck Ferrand,
Membre associé de l’Académie de Versailles


À LIRE :

Versailles, le chantier de Louis XIV, 1662-1715 de Frédéric Tiberghien. Coédition château de Versailles/ Perrin, 2002

 

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