Dans le cadre de Versailles Festival, les spectaculaires carrousels royaux du XVIIe siècle renaissent de leurs cendres. Franck Ferrand nous plonge dans l’ambiance de l’une des plus belles fêtes équestres :
le Grand Carrousel des Tuileries, le 5 juin 1662.
C’est un album de belle taille, véritable trésor de bibliophilie, enrichi de gravures coloriées d’un pinceau exquis par le miniaturiste Jacques Bailly. Cet ouvrage, fleuron des collections de la bibliothèque municipale de Versailles, appartenait en propre à Louis XIV – recueil commémoratif, édité en souvenir d’une des plus belles fêtes du siècle : le Grand Carrousel des Tuileries. Intitulé Courses de testes et de bague faites par le Roy et par les princes et les seigneurs de sa Cour en l’année MDCLXII, il retrace, sous la plume fleurie de Charles Perrault – auteur des fameux Contes – le détail des réjouissances organisées, le 5 juin 1662, pour célébrer la naissance du Grand Dauphin, survenue sept mois plus tôt.
Qu’est-ce, alors, qu’un « carrousel » ? Une somptueuse parade de chevaliers, défilant dans des atours magnifiques, sur des montures aussi richement parées qu’eux-mêmes, et disputant, pour justifier un tel déploiement de faste, des jeux équestres que l’on appelle course de têtes et course de bague.
La première consiste, pour le cavalier, à lancer sa monture et piquer au passage, du bout de sa lance, un ballot en forme de tête de maure ou de méduse ; quant à la course de bague, dont on dit qu’elle avait la préférence du jeune roi, elle revient, sur un cheval lancé au grand galop, à ficher sa lance au travers d’un anneau suspendu. Évidemment, de tels jeux n’étaient qu’un écho des tournois à l’ancienne. Mais depuis que le roi Henri II, en 1559, avait péri lors d’une joute de chevalerie dans la lice des Tournelles, près de la Bastille, il n’était plus question d’organiser de tels assauts ; plutôt que de rompre des lances, on s’amusait dès lors avec des têtes et des bagues…
En ce printemps 1662, glorifier l’héritier du trône était, à la vérité, qu’un prétexte. Au-delà de cet événement dynastique, ce qu’il s’agissait de célébrer, c’était l’arrivée du roi aux affaires, un an plus tôt, après la mort de Mazarin.
La fin de l’année 1661 et le début de la suivante avaient vu le jeune Louis XIV – il avait vingt-trois ans – mettre en place un appareil d’État à ses ordres, contrôlé par l’efficace Colbert, débarrassé du dispendieux Fouquet… Dix ans seulement après la fin de la Fronde qui avait si gravement entamé son pouvoir, il s’agissait donc, pour le monarque, de montrer à toute l’Europe que la noblesse de France, réunie autour de son roi, n’avait plus l’intention de regimber, et qu’elle avait désormais pour unique ambition d’obéir et de parader.
En regardant de plus près la mise en scène du Carrousel, telle qu’elle apparaît sur une gravure d’Israël Silvestre, ce qui se révèle, ce sont les origines de la thématique solaire, appliquée au souverain. Jean-Marie Apostolidès, dans un passionnant petit livre, Le roi-machine, publié aux Éditions de Minuit, écrivait à propos de cette représentation : « Comme l’astre solaire, Louis XIV répand ses rayons dans toutes les directions. Cette mise en scène évoque l’image d’une roue formée de plusieurs circonférences qui tourneraient autour du même axe, immense machine dont le roi serait à la fois le pivot et le moteur. » On comprend mieux, dans ces conditions, l’importance des diamants qui constellent la tenue d’apparat du roi.
Voici la description qu’en donne Charles Perrault dans sa relation : « Le roi était vêtu à la romaine, d’un corps de brocart d’argent rebrodé d’or, dont les épaules et le bas du busq étaient terminés par des écailles de brocart d’or rebrodé d’argent, avec de gros diamants enchâssés dans la broderie et bordés encore d’un rang de diamants. Aux extrémités de la gorgerette (…) composée de quarante-quatre roses de diamant, se joignaient par des agrafes de diamants, des épaulettes de même étoffe et broderie que le corps, et au bout de l’estomac pendait une grosse campane de même sorte. Trois bandes de même étoffe et broderie que le reste, couverte de cent-vingt roses de diamants extraordinairement larges, et jointes par dedans avec trois grandes agrafes de diamants, ceignaient cette magnifique cuirasse. » Que dire encore du casque au panache gigantesque et de l’incroyable caparaçon du cheval, aussi riche que le costume du cavalier ? Le défilé des groupes équestres, entourés d’homme à pied – on les appelait des quadrilles – devait être un spectacle magique.
Les cinq quadrilles sont composées chacune d’un chef et de dix chevaliers, censés rivaliser de force et d’adresse, dans un amphithéâtre bâti pour l’occasion le long de la façade intérieure des Tuileries, et dont les tribunes peuvent contenir de dix à quinze mille spectateurs privilégiés. Chacune représente une nation : le roi conduit celle des Romains ; Monsieur, son frère unique, celle des Persans ; le prince de Condé, celle des Turcs ; le duc d’Enghien, celle des Indiens et le duc de Guise, celle des « Sauvages de l’Amérique ». Le monde entier tournant autour du roi…
Versailles, plus tard, accueillera d’autres carrousels, à commencer par celui de mai 1664, qui devait ouvrir la fête des Plaisirs de l’Île enchantée. Puis le Grand Dauphin, dont la naissance avait appelé les réjouissances des Tuileries, prendra lui-même la tête de plusieurs quadrilles, inspirées de celles de 1662, notamment en 1685 et 1686 – dernier carrousels, mis en musique par Lully, dans le cadre des Écuries de Hardouin-Mansart. Mais aucune de ces solennités versaillaises ne sera de taille à éclipser l’indépassable Grand Carrousel.
Dans la cour des Tuileries, un siècle et demi plus tard, pour célébrer la campagne victorieuse de 1805 – celle d’Austerlitz –, Napoléon Ier fera édifier par ses architectes Percier et Fontaine un arc de triomphe inspiré de celui de Septime Sévère, sur le Forum romain. Surmonté du fameux quadrige de Constantin – quatre antiques chevaux de bronze, arrachés à la basilique Saint-Marc de Venise – ce monument prendra, ultime hommage, le nom d’arc de triomphe du Carrousel. Mais combien de promeneurs, parmi tous ceux qui, de nos jours, passent constamment à ses pieds, ont encore une pensée pour l’inconcevable spectacle dont ces lieux furent témoins, à l’aube du grand règne ?
Franck Ferrand,
Membre associé de l’Académie de Versailles
À VOIR
Le grand carrousel royal de Versailles
Plaine de la reine, les 4, 5, 6 et 7 juillet, de 21h30 à 23h20
mise en scène : Jean-Philippe Delavault
chorégraphe équestre : Clément Gerbaud
La Sérénade Royale est couplée au grand carrousel royal de Versailles, le samedi 6 juillet
tarifs : de 25 € à 125 €