Il y a encore deux ans, l’appartement de madame Du Barry n’avait pas l’électricité et ne pouvait être visité qu’en journée, à la lumière naturelle, comme c’est toujours le cas pour une partie des attiques. Cette année,
une réflexion globale a été engagée sur l’éclairage intérieur du château. Jean-Manuel Alliot, chef du service de l’exploitation technique
au château de Versailles, nous en donne le contexte.
Quand le château a-t-il commencé à prendre conscience de l’importance de son éclairage ?
À Versailles, une véritable « mise en lumière », jouant sur les reflets des pampilles en cristal, est menée à la fin des années cinquante, dans le cadre des grands travaux réalisés sous Malraux, entre 1957 et 1965. De Gaulle aménageait alors le Grand Trianon en résidence de la République qui bénéficiait des dernières innovations, comme la climatisation. C’est alors qu’ont été créées, pour équiper les lustres, les appliques et les girandoles, de fausses bougies, surmontées d’ampoules peintes à la main dont l’aspect ressemblait, à s’y méprendre, à une flamme vacillante grâce à un dispositif électrique intégré.
Ces équipements sur mesure, assez coûteux, furent progressivement remplacés par des ampoules incandescentes, sous l’appellation « flamme Grand Siècle », tandis que les ouvertures nocturnes du château entraînaient une multiplication des points d’éclairage en renfort, peu esthétiques et historiquement déplacés.
Des ampoules incandescentes désormais proscrites, en vue de diminuer la consommation d’énergie…
Dès 2008, en effet, était annoncé l’arrêt de leur fabrication, ce qui nous a contraints à nous tourner rapidement vers les ampoules de type LED. Les premières d’entre elles étaient disgracieuses et impossibles à intégrer dans les décors versaillais. Aussi a-t-il été confié, en 2010, au célèbre cristallier Swarovski, la tâche d’imaginer un modèle digne d’éclairer le château.
Ce ne fut pas évident : le premier essai sorti de ses ateliers ressemblait plus à un bouchon de carafe qu’à une véritable flamme, absolument pas « Versailles compatible » ! Je l’ai, figurez-vous, remarqué sur certains des lustres du château de Schönbrunn, en Autriche, mais, à Versailles, la réflexion s’est poursuivie pour aboutir, en 2011, à un consensus. Je revois encore l’un de nos conservateurs actionnant la flamme d’un briquet pour montrer ce que nous souhaitions vraiment !
Pourquoi vouloir tout changer aujourd’hui ?
Ce modèle équipe toujours une grande partie du château, mais il est d’une autre époque, où l’on raisonnait en termes de décor lumineux historique, sans trop se soucier de la visibilité des lieux. Aujourd’hui, ce concept est abandonné au profit de celui d’éclairage historique.
« Dans un monument comme Versailles, il s’agit de concilier le confort visuel des visiteurs avec la volonté d’une reconstitution historique étayée, tout en assurant la préservation des œuvres. »
Lors des opérations de travaux, les sources Swarovski sont remplacées par des équipements plus performants, mais dont la forme ou la température de couleur ne font pas forcément l’unanimité. Dans un monument comme Versailles, il s’agit de concilier le confort visuel des visiteurs avec la volonté d’une reconstitution historique étayée, tout en assurant la préservation des œuvres.
Une réflexion globale sur les principes d’éclairage du château, menée avec toutes les parties prenantes – l’architecte en chef des Monuments historiques, les conservateurs du musée, les ingénieurs de la Direction du patrimoine – devait donc s’engager.
Comment vous y êtes-vous pris, face à un ensemble aussi colossal ?
La Direction du patrimoine a saisi l’opportunité des travaux projetés pour la mise en sécurité du corps central du château pour mandater INGELUX sur un programme d’éclairage. La société d’ingénierie nous a proposé des regroupements en fonction de la lumière naturelle, des collections présentées et des possibilités d’installation du matériel. Le caractère palatial du château est aussi déterminant, tant par ses décors que par les ambiances lumineuses à créer en lien avec le parcours du visiteur.
Cinq pièces, comme la galerie des Glaces, ont été considérées à part en raison de leur caractère exceptionnel. Ont été également distingués les salles de grandes dimensions, dotées de corniches autour du plafond à double hauteur, telle l’enfilade de salons côté nord ; celles, moins vastes, présentant une forte présence de dorures et des plafonds plats ; celles, souvent plus intimes, ornées d’un riche décor historique et mettant en scène la vie dans le château ; celles plutôt consacrées aux collections, tableaux, mobilier, porcelaines, dont fait partie la galerie de l’Histoire ; et, enfin, les espaces de circulation, vestibules, couloirs, etc. Un chantier test a permis de faire le tour des problématiques posées selon les endroits.
Ce chantier test a-t-il été fructueux ?
Il s’est déroulé dans trois lieux d’expérimentation – le salon des jeux, dans l’appartement intérieur du Roi, la salle des États généraux et la chambre de Madame Victoire – où chacun a pu réfléchir à ces problématiques. Nous avons tous pu faire le constat que la lumière naturelle peut être plus ou moins importante selon les pièces, mais aussi selon les saisons, et qu’il était nécessaire d’assurer une continuité de l’éclairage, avec une harmonisation des températures de couleur de salle en salle. A été considérée une éventuelle différenciation entre le jour et la nuit, notamment pour prendre en compte les contre-jours. Chaque lieu a néanmoins ses spécificités selon son orientation, l’importance de ses dorures, les tons des œuvres peintes ou de son mobilier…
Nous avons examiné différents modèles de « lampe bougie », suivant des teintes ni trop chaudes ni trop froides. Nous avons testé des spots LED dernier cri qui peuvent être facilement accrochés à la partie fixe des lustres et apporter un éclairage supplémentaire sur les murs ou un éclairage ciblé sur certaines œuvres, mais en prenant garde aux miroirs qui renvoient l’image du point chaud ! Nous avons évoqué les tableaux de grand format, dont la proximité avec les corniches où peuvent être placés des spots génère des reflets désagréables, et observé une éventuelle solution : des appareils « wallwash », « lèche-mur », glissés le long des mises à distance… C’est une vaste réflexion, qui ne fait que commencer, mais qui nous amène à porter un nouveau regard, plein d’idées, sur le château.
Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).
La Chapelle royale : rester fidèle
aux couleurs de la voûte
La restauration extérieure de la Chapelle royale ne pouvait que donner envie d’en magnifier les célèbres décors intérieurs. La survenue du Covid, suivie de l’interruption de la programmation musicale en 2020, a fourni l’occasion de réaliser, pour la première fois, sa mise en lumière complète.
Le plus complexe à éclairer fut certainement sa voûte centrale, peinte par Antoine Coypel : il fallait limiter, autant que possible, l’impact visuel des sources lumineuses pour ne pas percevoir d’en bas, du point de vue du public, les « points chauds ». Il s’agissait parallèlement de ne pas altérer les couleurs de cette œuvre majeure.
Ce ne sont pas moins de quatre-vingts réglettes de LED qui ont été minutieusement installées, au pourtour de la voûte peinte, sur la corniche. L’alternance des températures de couleur a permis d’obtenir un éclairage parfaitement adapté, aussi bien en vision diurne que nocturne.
Habilement dissimulés sur les corniches des plafonds à caissons des tribunes latérales, au premier étage de l’édifice, cent quatre-vingts spots contribuent également à redécouvrir la magie de ces lieux.
Jean-Manuel Alliot,
chef du service de l’exploitation technique
L’antichambre de l’Œil-de-Bœuf : une transition en douceur
Derrière la galerie des Glaces, cette antichambre prestigieuse devait assurer une transition lumineuse entre la chambre du Roi, souvent occultée, et les salles adjacentes, supportant une lumière naturelle plus importante. Malgré le grand œil-de-bœuf qui donne son nom à la pièce, celle-ci paraissait sombre. Une impression qui pouvait s’expliquer par les contrastes lumineux importants produits par les encadrements des fenêtres côtoyant des peintures aux couleurs sourdes. Un rééquilibrage était nécessaire pour recomposer une sensation de luminosité.
C’est un vitrage filtrant qui a été installé au niveau des ouvertures et de l’oculus. En atténuant la transmission lumineuse de plus de 20 %, celui-ci maintient la visibilité et l’impression de lumière naturelle tout en ramenant la luminosité générale à un niveau intermédiaire entre la galerie des Glaces et la chambre du Roi. Les lustres permettent un allumage plus puissant, mais en temps habituel, des réglettes LED, placées sur la corniche haute et orientées vers le plafond, apportent un éclairage d’accompagnement qui semble en provenir. Des projecteurs, positionnés pour ne pas éblouir, offrent des « points de tirs » sur les œuvres.
Jean-Manuel Alliot,
chef du service de l’exploitation technique