magazine du château de versailles

Les rouges,
« vrais amusements
de la toilette »

Un traité de la fin du XVIIIe siècle donne d’amples informations
sur l’utilisation des « rouges » pour les lèvres ou les pommettes.
C’est toute une palette de couleurs et de conseils digne
des coquettes d’aujourd’hui !

Femme de qualité à sa toilette, d’après Jean Dieu de Saint-Jean, XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre, coll. Rothschild. © Dist. GrandPalaisRmn / Marc Jeanneteau

Sous l’Ancien Régime, le maquillage vise à blanchir le visage, à rendre les yeux plus foncés, par le noircissement des paupières et des sourcils, et à tracer une bouche très rouge. Il est pratiqué aussi bien par les hommes que par les femmes, à partir des mêmes produits, jusque dans la seconde partie du XVIIIe siècle où il s’interrompt nettement chez la gent masculine. Le maquillage conventionnel, fixant les traits tel un masque, disparaît alors pour laisser place à l’expressivité, révélant l’individualité de chacun.
Le Traité des odeurs de M. Déjean1, publié à Paris en 1777, livre de nombreuses recettes de préparations cosmétiques, mais aussi de soins de la peau. La fin du XVIIIe siècle correspond, en effet, aussi à de nouvelles exigences par rapport au corps. Les produits de maquillage vont faire l’objet d’une analyse plus critique qui conduira à de meilleures pratiques : l’Académie des sciences se mobilise et s’esquisse le contrôle médical des fards. Un marché de la beauté régulé émerge alors, entre pratique individuelle et production en série2.

L’art de la coiffure des dames françaises, par Legros de Rumigny, XVIIIe siècle, pl. 86, New York, The Metropolitan Museum of Art. © Dist. GrandPalaisRmn / image MMA

En poudre et en pots
Ce Traité des odeurs détaille un certain nombre d’ingrédients : des huiles cosmétiques, des baumes, des eaux et lotions pour éclaircir le teint du visage, colorer les sourcils et les cheveux, des pommades pour blanchir les dents, et des « rouges ». Dès 1690, le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière définissait le « rouge » comme « un fard dont les femmes se colorent les joues et les lèvres ». Comme dernière « cérémonie de la toilette », Déjean indique que ces rouges « ne doivent être posés sur le visage qu’après les blancs ». Il nous apprend que les plus utilisés sont ceux en poudre, et que les rouges en petits pots « sont la même chose, excepté pour le liant que l’on y mélange ». Il poursuit en disant : « Ce sont les mêmes alliages, les mêmes nuances, tout, en un mot, est égal, excepté la gomme. »
Déjean conseille d’employer plutôt les rouges en poudre, comme celle de carmin et de talc mélangés, qui permettent d’obtenir plus facilement les nuances désirées. Ils sont, dit-il, « les vrais amusements de la toilette ». Il donne aussi cinq recettes de rouges en petits pots – à conserver précieusement dans une boîte – et en précise neuf nuances différentes. Et comme tous les goûts sont dans la nature, Déjean évoque d’autres rouges qui pourront convenir à ceux qui souhaitent un « vermeil naturel ».

Application et démaquillage
Un beau rouge est fait de « bons et beaux produits », mais il dépend aussi de son application. Qu’il soit en poudre ou en pot, il s’applique au pinceau, en petite quantité, en l’étendant légèrement sur les parties à colorer, puis en l’étalant avec les doigts. On peut ensuite le rehausser par endroits pour le rendre plus vif. C’est ainsi que Déjean détaille ce maquillage rendu naturel, et de déclarer : « C’est en quoi consiste l’art. » Il s’agit aussi de poser le fard suivant des dosages qui conviennent aux envies de chacun : le maquillage évolue donc vers une pratique plus personnelle.

« Il s’agit aussi de poser le fard suivant des dosages qui conviennent
aux envies de chacun : le maquillage évolue donc vers une pratique plus personnelle.
»

« Il faut, lorsque l’on se sert du blanc et du rouge, s’appliquer le soir, en se couchant, de la pommade bonne pour le teint » : les recommandations n’oublient pas un bon démaquillage où il faut avoir soin, au préalable, de détacher toutes les poudres du blanc et du rouge en s’étant bien frotté le visage, puis de « s’essuyer fortement avec un linge blanc, pour mettre la peau dans son état naturel ».

Des boîtes à mettre dans la poche
Les objets de maquillage sont soigneusement conservés et rangés dans des boîtes ou des flacons, devenus de véritables objets d’art, parfois de grand prix. Avec les houppes et les pinceaux – et, bien sûr, le miroir – ils sont posés sur la table de toilette des dames.

Paire de pots à fard, manufacture de Saint-Cloud, vers 1700, Paris, musée du Louvre, et détail de leur dorure à la feuille d’or. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola

Plates, de forme ronde, ovale ou rectangulaire, les plus précieuses de ces boîtes à fard sont réalisées en or, en argent, en écaille de tortue, en ivoire ou en porcelaine. Celles pour le rouge, de plus petit volume, sont destinées à être mises dans la poche ; l’intérieur renferme souvent un petit miroir et deux compartiments à couvercle, l’un pour le rouge, l’autre pour les mouches. Ces objets de luxe sont vendus par les orfèvres, les bijoutiers et les marchands merciers, tel Lazare Duvaux, à Paris, chez qui la marquise de Pompadour se fournissait.

Corinne Thépaut-Cabasset,
historienne des relations internationales à la Direction du développement culturel du château de Versailles

1 M. Déjean, Traité des odeurs, suite du Traité de la distillation, Paris, P. F. Didot, 1777, chap. XXXVII, p. 277-284.
2 Catherine Lanoë, La poudre et le fard. Une histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champs-Vallon, 2008.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).

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