magazine du château de versailles

De la force
des petits dons

Comme les ruisseaux font les grandes rivières, des apports modestes peuvent être de précieuses contributions à l’enrichissement
des collections et à la connaissance de l’histoire du château.
Ainsi a œuvré l’ancien instituteur et collectionneur Alain Roger-Ravily,
disparu l’été dernier, qui a marqué les équipes du musée.

Présentation des différentes pièces provenant du service des Princes au Grand Trianon, au chiffre LP couronné, Manufacture royale de porcelaine de Sèvres, 1845, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Une marque en rouge indique : château de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

Il y a des personnes comme ça, qui habitent l’institution de leur présence sans qu’on y prenne garde. Alain Roger-Ravily en faisait partie. Beaucoup ont entendu parler de lui et de sa veille sur les ventes en cours d’objets accessibles à sa bourse. Almanachs, nappes ou serviettes de table : ce n’est assurément pas pour faire de l’esbroufe qu’Alain Roger-Ravily les offrait au château, mais avec le souci de servir utilement à la connaissance d’un si vaste sujet que Versailles où le collectionneur a vécu ses premières années.

Portrait d’Alain Roger-Ravily devant le Petit Trianon, à Versailles.
© Philippe Commenges

Une passion qui remonte à l’enfance
Avec un père fonctionnaire, il logeait dans l’hôtel des Réservoirs permettant, à l’époque, un accès direct au bassin de Neptune. Le bosquet de l’Arc de Triomphe accueillait ainsi ses jeux de ballon. Il fut même figurant, tout jeune, dans Si Versailles m’était conté… ! Le dimanche, il accompagnait son père peindre dans le domaine, aiguisant certainement son propre regard sur ce qui allait devenir le pays enchanté de son enfance.

Il y est revenu en y déposant ses cailloux : à partir de 2011, Alain Roger-Ravily n’a cessé de faire des dons au château, souvent par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles dont il était membre. « Il en retranscrivait scrupuleusement les assemblées générales du temps, déjà, de Van der Kemp1 », précise Philippe Commenges qui a bien connu le « chineur impénitent » et témoigne de son amour profond pour le domaine. « Il était très intéressé par tout ce qui avait disparu, altérant la vision de certains lieux. Cuisines et salles de bains, détruites au profit du musée de l’Histoire de France, le passionnaient en ce qu’elles parlaient de la vie quotidienne à la Cour. » Aussi Alain Roger-Ravily a-t-il été le premier à s’intéresser aux jetons, gros comme des pièces de monnaie, qui servaient autrefois de laissez-passer à certaines parties du château, des jardins ou pour les fêtes.

Présentation du service de l’Office au Grand Trianon, au chiffre LP, Manufacture royale de porcelaine de Sèvres, 1845, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

Pièces de porcelaine qui témoignent de la vie au château
« Il s’était tourné vers les porcelaines du XIXe siècle parce qu’elles n’étaient pas chères, et en est devenu un spécialiste », raconte encore l’expert en œuvres d’art. Une assiette par-ci, une soupière par-là, et voici plusieurs services utilisés au Grand Trianon sous Louis-Philippe qui se sont constitués, grâce à lui, au fil du temps : celui des Officiers (3 pièces), celui des Princes (12 pièces) et, surtout, celui de l’Office (24 pièces), tous au chiffre LP, couronnés ou non. Ces services de porcelaine blanche, certes semblables dans toutes les résidences de la monarchie de Juillet, portent ici la marque du château.
Alain Roger-Ravily s’attachait aux petits détails qui donnent toute leur véracité à la présentation des œuvres. Il a offert plusieurs de ces socles en porcelaine colorée destinés à mettre en valeur, sous l’Ancien Régime, la blancheur laiteuse des biscuits. À fond « beau bleu » et filet or, comme il se devait chez le roi, ils rehaussent, notamment, deux statuettes dans le salon des Jeux.

Vue du salon des Jeux avec les socles à fond bleu et filets d’or rehaussant les biscuits de Sèvres. © EPV / Christophe Fouin

La photographie, formidable source d’informations à partir de la seconde moitié du XIXe siècle
Près de 900 cartes postales et 700 photographies ont été, au total, réunies grâce à Alain Roger-Ravily. Parmi elles, des documents rares font sortir du brouillard du passé des endroits peu documentés du château. Plus de 300 vues stéréoscopiques nous renseignent sur des ameublements ou des décors oubliés, tels les fauteuils du salon des Glaces du Grand Trianon, vendus en 1887, ou l’escalier d’origine de la tour de Marlborough avant sa destruction. « Notre collection de photographies doit beaucoup à cet homme qui a ouvert tout un champ de possibilités en termes de recherches sur l’histoire contemporaine de Versailles », affirme Karine Mc Grath, à la tête du service des archives du château.

Vue stéréoscopique de la fin du XIXe siècle montrant le corps central du château avec la tourelle de Louis-Philippe, détruite en 1898, archives du château de Versailles. © EPV / Christophe Fouin

Photographie révélant le camouflage des sculptures du parterre d’Eau au printemps de 1918 dont on ne connaissait que les croquis de l’architecte François-Benjamin Chaussemiche. © EPV / Christophe Fouin

L’époque des deux guerres mondiales, très étudiée aujourd’hui au sein de l’institution, est particulièrement bien illustrée par des tirages argentiques. Un exemple parmi d’autres : celui du camouflage des sculptures du parterre d’Eau, en 1918, qui a apporté la vision concrète d’un dispositif dont on ne connaissait l’existence que par un croquis d’architecte. Des clichés saisissants donnent une vision concrète, et douloureuse, de la période de l’Occupation, les troupes allemandes investissant de toutes parts le château. Plus gaies sont les vues des festivités d’après-guerre dont des programmes ont été retrouvés par le collectionneur.

Alain Roger-Ravily devant sa collection en 2016.
© EPV / Didier Saulnier

Depuis son fauteuil roulant, à la fin de sa vie, Alain Roger-Ravily continua à faire des trouvailles grâce à Internet. Les yeux rivés sur les sites de vente en ligne, il est parvenu à dénicher une paire de médaillons ovales rarissimes en porcelaine de Sèvres, avec les portraits de Louis XVI et Marie-Antoinette. Ceux-ci ornent désormais les appartements intérieurs de la Reine tandis que d’autres de ses dons se trouvent dans les appartements de Mesdames ou au Grand Trianon. Avec ses petits cailloux, dispersés à de nombreux endroits du domaine, continue ainsi de battre son cœur pour Versailles.

 

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Gérald Van der Kemp, conservateur en chef du domaine de Versailles et de Trianon de 1953 à 1980.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).

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