magazine du château de versailles

De la roselière
à la chaumière

Avec la restauration de leurs toits de chaume, achevée en juin 2024,
les fabriques du hameau de la Reine ont désormais recouvré leur charme rustique jusqu’au dernier détail. Retour sur un chantier traditionnel
mené par des artisans chaumiers venus de Bretagne… et de Hongrie !

Détail d’une lucarne qui montre l’épaisseur de la couverture en chaume. © EPV / Didier Saulnier

C’est la touche finale apportée à la campagne de restauration des fabriques du Hameau débutée en 2015 avec la maison de la Reine : leurs couvertures en chaume, de ce matériau qui donne son nom aux chaumières des campagnes françaises, ont été regarnies. Au printemps 2024, les fabriques ont donc été, une à une, dépouillées du roseau rabougri et moussu qui leur servait de toiture pour être dotées d’un chaume neuf, dense, aux jolis reflets ambrés. Associé aux colombages des façades, il produit sur l’imagination l’effet saisissant justement recherché par Marie-Antoinette : voir le pays de Caux surgir à quelques pas des ors de la Cour. La reine se doutait-elle que son faux vrai village normand l’amènerait à perpétuer le savoir-faire, très réel quant à lui, d’un artisanat ?

Restauration en cours de l’une des glacières du domaine de Trianon.
© EPV / Direction du patrimoine et des jardins

Sur les toits du hameau
de la Reine

C’est d’abord au moulin que la restauration a démarré. Il faut imaginer, au pied des fabriques, une équipe d’artisans affairés autour d’énormes ballots de roseaux blonds, coupant, triant et apprêtant chaque botte. Sur les toits mis à nu soulignés d’échafaudages, quelques autres réceptionnent les gerbes qu’on leur lance une à une. Ils les disposent les unes à côté des autres et les fixent sur le bois des liteaux à l’aide de grosses aiguilles métalliques et de fil galvanisé. Ligne après ligne, les gerbes superposées se fondent en un amas harmonieux qui monte jusqu’au faîtage, là où se rencontrent les deux versants du toit. L’artisan y parvient grâce à un « escabeau » dont les crocs s’agrippent à la charpente sans déranger le chaume, lui permettant de s’élever au rythme de son ouvrage. Là-haut, pour maintenir durablement l’ensemble, il aménage enfin un lit de terre argileuse plantée d’iris et de joubarbes : leurs rhizomes, en se développant, assureront dans quelques années la stabilité du faîtage et l’absorption des eaux de pluie.

Une main-d’œuvre qui se fait rare
À quelques détails près qui trahissent de petites améliorations modernes, le procédé reflète le respect d’un geste mille fois répété et soigneusement transmis au fil des siècles. En France, les savoir-faire autour du chaume se concentrent en Brière, en Normandie et en Camargue – dont les immenses roselières en font la première productrice de roseaux à l’échelle nationale – ainsi qu’en Bretagne ou dans le Limousin. « Il existe aujourd’hui une petite centaine d’entreprises de couvreurs chaumiers, regroupées autour de l’ANCC (Association nationale de couvreurs chaumiers), explique Béatrice Pitzini-Duée, en charge du projet au sein de la Direction du patrimoine et des jardins du château de Versailles. L’association œuvre pour améliorer la visibilité de la filière et l’accès à la formation, mais il n’empêche que la main-d’œuvre se fait rare. Pour y remédier, l’entreprise familiale Bougeard, avec laquelle nous travaillons, fait appel depuis plusieurs années à une autre famille de chaumiers venue de Hongrie. »

Le moulin du hameau de la Reine et sa toiture en chaume restaurée. © EPV / Thomas Garnier

À l’échelle internationale
La passion du chaume dépasse les frontières. Dans un contexte de pénurie, on s’associe, on joint ses forces, on enrichit son métier du savoir-faire des voisins – comme avec la technique hollandaise dite « en crête de coq », très répandue aujourd’hui, qui consiste à sceller les deux pans du toit par des tuiles, et non par de la terre. Le brassage de ces pratiques diverses s’est accentué dans les années 1970, à une époque où les toitures en chaume n’étaient plus synonymes de paysannerie et de pauvreté, mais tout au contraire, de réussite et de bon goût. À l’étranger, les couvertures de chaume se retrouvent dans plusieurs pays, dont les principaux sont réunis au sein de l’International Thatching Society (ITS), association internationale des chaumiers qui regroupe notamment le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, l’Afrique du Sud, le Danemark ou encore le Japon.
Profitant des équipes mobilisées sur le Hameau, le château a pu faire restaurer jusqu’aux chaumes des glacières de Trianon : deux bâtiments à l’abri des regards, dissimulés derrière le petit théâtre de la Reine. On y stockait la glace récoltée les jours de gel et destinée, vraisemblablement, aux sorbets dont raffolait Louis XIV.

Jeanne Mogis,
chef de projet éditorial au château de Versailles

Les chaumes du hameau de la Reine ont été restaurés grâce au mécénat de Dior.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).


Oser le roseau
Le chaume est issu des récoltes agricoles. Plus robuste que le blé, plus haut que le seigle qu’on lui a longtemps préféré, le roseau, autrefois synonyme de pauvreté, est aujourd’hui paré de toutes les qualités pour coiffer les habitations dans le respect des contraintes de notre époque : très présent en Camargue, c’est un matériau biosourcé, renouvelable et compostable. Excellent isolant thermique et acoustique, il ne nécessite pas de couverture supplémentaire en sous-toit. Un peignage régulier, tous les cinq ans, le protège d’un vieillissement prématuré. Bien entretenue, une couverture en chaume peut durer jusqu’à cinquante ans.


À PARCOURIR

Le hameau de la Reine, dans le domaine de Trianon
Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 12 h à 19 h 30

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