En 1892, Pierre de Nolhac, alors jeune attaché de conservation au château de Versailles, soutenait sa thèse à la Sorbonne. Il n’imaginait sans doute pas qu’un jour ces deux institutions s’engageraient dans un partenariat de coopération scientifique au service de l’histoire et des collections de ce palais un peu schizophrène : moitié musée – moitié Château.
Tout un programme.
Malgré toutes les restaurations et restitutions engagées depuis maintenant plus d’un siècle, lorsque Pierre de Nolhac en fut le directeur, le Versailles que nous connaissons aujourd’hui reste profondément marqué par la vision et l’œuvre de Louis-Philippe, dans une double vocation de résidence royale et de musée historique « à toutes les gloires de la France », étroitement imbriqués
l’un dans l’autre.
« Le Versailles que nous connaissons aujourd’hui reste profondément marqué par la vision et l’œuvre de Louis-Philippe dans une double vocation de résidence royale et de musée historique. »
Le Château, on le sait, était en grand péril lorsque le nouveau souverain se le fit attribuer au titre de Liste civile après son accession au trône, en 1830. Avant même que d’entreprendre une indispensable remise en état, il fallait trouver un emploi à un château que l’on avait pu auparavant penser transformer en hôpital militaire ou en école d’agriculture. Si le Roi-Citoyen rénova les deux Trianon et leur restitua leur destination de résidence pour lui ou sa famille, il n’en alla pas de même du palais, qu’il transforma complètement, entre 1833 et l’ouverture officielle en 1837, en musée historique. Si Versailles fut alors définitivement sauvé, ce fut, en dehors des espaces réservés autrefois au Roi et à la Reine, au prix de la destruction de l’essentiel des appartements, notamment princiers, en particulier dans l’aile du Midi, et d’un profond remodelage du bâtiment, avec la création de nouveaux escaliers, de nouvelles galeries, au premier chef la galerie des Batailles et les salles adjacentes, d’une nouvelle décoration, bref, de la création d’une muséographie moderne accompagnant la création d’un musée inédit alors en France comme en Europe, dont les collections mêmes furent rassemblées ou acquises à cette occasion. Cet état subsista pendant un peu plus d’un demi-siècle, avant donc que Pierre de Nolhac ne lui portât les premiers coups en mettant en réserve, progressivement, tous les tableaux ou les statues du musée historique qui n’étaient pas contemporains des événements ou des personnages qu’ils représentaient, puis en le faisant disparaître dans son existence même, salle après salle, rééquilibrant les espaces au profit d’une évocation de plus en plus précise du palais d’Ancien Régime, principalement dans les appartements royaux, que lui puis surtout ses successeurs allaient s’employer à restituer, dans leur décor comme dans leur mobilier d’origine.
C’est ainsi qu’on arriva progressivement à la répartition actuelle, où subsistent de Louis-Philippe, dans un palais identifié désormais principalement comme la résidence royale qu’il fût à l’origine, des espaces préservés du Musée historique dans leur état d’origine : les salles du premier étage et du rez-de-chaussée autour de la galerie des Batailles, concernant principalement la France de la Révolution, de l’Empire et du premier XIXe siècle jusqu’à la Révolution de Juillet ; au nord, proches de la Chapelle et de l’Opéra, les salles des Croisades et, à l’étage, les salles de la conquête de l’Algérie, servant de salles d’expositions temporaires et dont les décors existants sont cachés aux visiteurs. S’y ajoutent les salles des attiques, créées dans les années 1960 sous l’égide de Gérald van der Kemp, objet muséographique original en soi, et, au delà, en réserves, l’immense collection de peintures, sculptures, dessins, estampes rassemblée essentiellement par Louis-Philippe mais qui ne cessa d’être enrichie depuis.
C’est cet ensemble, à la fois musée et collection, dans la continuité de son développement historique, qui fait l’objet d’un programme de coopération scientifique engagé cet automne, et pour les prochaines années, entre Versailles et l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) et, au-delà ses partenaires de Sorbonne Universités (notamment l’Université Pierre et Marie Curie, l’Université technologique de Compiègne et le Muséum national d’histoire naturelle). Paris-Sorbonne a en effet signé, il y a quelques mois, un accord de partenariat avec l’Établissement public du château de Versailles, dans la continuité de ceux passés depuis trois ans par l’Université avec la Bibliothèque nationale de France, le Louvre et le Musée du Petit Palais.
Le but est à chaque fois identique : faire travailler ensemble autour de l’étude et de la mise en valeur de leurs collections les équipes scientifiques des établissements concernés avec les chercheurs, enseignants-chercheurs et étudiants de la Sorbonne. Outre l’apport financier spécifique, de Paris-Sorbonne et de Sorbonne Universités, qui bénéficie d’une des trois « initiatives d’excellence » universitaires franciliennes au titre du Plan d’investissement d’avenir, diverses modalités sont envisagées pour la mise en œuvre de ce programme : bourses de recherches au niveau du master ou du doctorat, séminaires, journées d’études ou colloques, publications, expositions, reconstitutions virtuelles, création de ressources en ligne, l’essentiel étant bien de faire se rencontrer, dans une démarche commune, les équipes de Versailles et de la Sorbonne en mutualisant, dans un enrichissement évident, leurs diverses ressources. En offrant toutes les disciplines des humanités et des sciences humaines et sociales, Paris-Sorbonne peut ainsi ouvrir des perspectives d’analyse inédites, au-delà de la seule histoire de l’art qui, à elle seule, justifierait déjà l’ouverture de ce passionnant chantier.
Qu’en est-il du contexte historique, mais plus généralement littéraire, voire philosophique ou scientifique, qui a présidé à la création du Musée historique dans les années 1830 ? Comment expliquer la désaffection progressive du public pour une institution qui, à ses débuts, rencontra un indéniable succès ? Comment, aujourd’hui, envisager la représentation de l’Histoire de France, sujet brûlant où seraient nécessaires non seulement le regard des historiens, mais aussi celui des sociologues et des philosophes ? Quelle muséographie pour un nouveau musée historique s’inscrivant dans la continuité de l’action menée par Louis-Philippe tout en la renouvelant nécessairement au vu des enjeux, des débats, des problèmes qu’il soulève aujourd’hui ? Et avec quels dispositifs, quels accompagnements à l’heure d’Internet et des nouvelles technologies de la connaissance et de l’information que l’Université, comme le musée, intègrent de plus en plus rapidement et profondément à leurs activités plus « traditionnelles » ?
Il est prévu, sur plusieurs années, de suivre une approche chronologique, correspondant à la rénovation progressive, par le Musée, des salles déjà existantes, ou la mise en place concomitante de nouveaux espaces, le tout faisant partie d’une plus vaste entreprise sur la notion même d’un musée historique à Versailles. C’est donc le Moyen Âge qui devrait faire l’objet des premiers travaux.
On pense immédiatement à des études sur la naissance de l’idée de Moyen Âge dans la littérature, puis dans la science historique du XIXe siècle, et à sa traduction en images, ou sur l’idée de croisade et sa traduction dans les salles de l’aile Nord réalisées et ouvertes entre 1837 et 1843. Mais quelle place réserver, dans une nouvelle vision du Moyen Âge, à l’architecture qui lui est consubstantielle dans l’imaginaire collectif et est, d’une certaine manière, la grande absente des collections versaillaises ? Ne pourrait-on faire ici appel aux réalisations des équipes de Paris-Sorbonne et de l’UPMC travaillant à des reconstitutions virtuelles, accessibles en 3D ou sur simple écran, de grands monuments disparus ou non, en restituant, grâce à des minutieuses recherches documentaires, des états aujourd’hui disparus, par exemple pour le Palais de Justice et la Sainte Chapelle de Paris, ou encore la Cathédrale de Reims ? Les approches sont, on le voit encore, largement à inventer, et les perspectives innombrables. Il ne reste désormais qu’à s’y engager.
Barthélémy Jobert,
Président de l’université Paris-Sorbonne.