C’est au Jeu de Paume que le château de Versailles a accueilli, vendredi et samedi derniers, L’Ombre du Soleil, une pièce de théâtre écrite et jouée par les détenus de trois prisons des Yvelines. Ceux-ci nous ont défiés, celles-là nous ont fait rire, et ils nous ont touchés.
« Vous êtes beaux. Au jeu des paumés, vous êtes les plus beaux ! », lance, d’un ton crâne, l’un des acteurs. « Vous êtes comme nous ! Pareils ! On est des frères humains ! », poursuit-il, en bombant le torse devant une assemblée prudente qui n’a pas encore desserré les dents. Il faut dire que la pièce a commencé très fort, depuis le fond de la salle, avec une sorte de haka au rythme lancinant d’un tambour.
Les acteurs sont, pour la plupart, issus de trois établissements pénitentiaires des Yvelines. Les détenus des maisons d’arrêt de Versailles et de Bois-d’Arcy et de la maison centrale de Poissy ont également participé à l’écriture des textes, à la production des décors et à la fabrication des broches distinguant les personnages. Ce projet s’est construit pendant deux ans, encadré par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation des Yvelines (SPIP 78) et le château de Versailles qui a accompagné les ateliers. La pièce a été mise en scène par la compagnie l’Art éclair, sous la direction de l’auteur et dramaturge Olivier Bruhnes qui ne lâche pas des yeux ses élèves.
Ceux-ci révèlent leurs talents face à des spectateurs médusés qui rient de bon cœur à leurs facéties, surtout quand elles rapprochent l’univers carcéral de celui de Versailles où, comme il se doit, est située l’intrigue. Kingman, le roi, est un grand gars dont la prestance est indéniable, Prince, son fils, danse sur des airs de groove, le comte de Bois d’Arcy, dans sa redingote rouge, a des allures de caïd. Mais ils se prêtent au jeu avec de magnifiques sourires, et évoluent sur la scène comme s’ils l’avaient toujours connue alors qu’hommes et femmes n’ont pu répéter ensemble que la veille.
Est-ce leur expérience singulière de la vie qui leur a donné cette intensité dans le regard ? Être allé aux limites de ce qu’elle pouvait offrir ou concéder a-t-il forgé des tempéraments qui s’imposent sans effort sur la scène ? En tous les cas, leurs échanges nous sont allés droit au cœur et l’on se souviendra, à la fin de la pièce, de cette petite fille que l’un des acteurs, son père, est venu prendre dans ses bras pour quelques secondes de tendresse.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles.