L’appellation « Petite Venise » a subsisté de cette époque fastueuse pour le Grand Canal où voguaient les bateaux, dont les fameuses gondoles. Un article tiré de la revue Château de Versailles raconte l’histoire de ces fines embarcations, préférées entre toutes par la Cour.
Les travaux du Grand Canal furent achevés en 1679. Cependant, Louis XIV n’attendit pas cette date pour en faire l’écrin de ses feux d’artifice et de ses fêtes royales somptueuses, mais également pour abriter la flottille qui y prit place dès 1669. Vaisseaux de hauts bords, frégates, galères, ou bien bâtiments pour l’agrément, chaloupes, canots, etc. : devant l’immense choix qu’offrait la flottille de Versailles au roi, les embarcations de plaisance étaient les plus utilisées, et parmi elles, ô surprise, des gondoles !À Versailles, ces gondoles étaient les embarcations préférées. La flottille en comptait quatorze, certaines d’apparat et d’autres appelées « gondoles de suite », noires et uniformes, comme les gondoles traditionnelles de Venise. L’« État des bâtiments qui sont sur le Canal » de 1698 en dénombre sept et, pour répondre à la demande, certaines sont même construites au chantier naval de la Petite Venise comme, en 1678, la Grande Gondole décorée par Philippe Caffieri. On cherche alors à faire venir à Versailles des charpentiers vénitiens, comme le prouve une lettre de M. de Louvois à l’ambassadeur de France à Venise, lui demandant en 1684 « s’il n’y auroit point à Venise quelque jeune home entendu à ces sortes d’ouvrages qui voulust faire un voyage icy à prix raisonable ».
En 1689, neuf gondoliers vénitiens constituaient le groupe fixé à la « Petite Venise », un ensemble de bâtiments aujourd’hui en partie disparus, qui abritaient, dans les jardins de Versailles, à la fois le chantier naval et les logements du personnel de la flotte du Grand Canal. Ces bâtiments, construits par l’architecte Antoine Bergeron, se situaient entre Trianon et le château de Versailles, à l’extrémité est du Grand Canal, près du bassin d’Apollon. Cette appellation de « Petite Venise » lui fut justement donnée après qu’y furent installés les quatre premiers gondoliers vénitiens de Versailles.
Les gondoliers qui menaient le roi sur l’eau étaient bien payés mais aussi très élégamment vêtus : cet équipage faisait l’orgueil de Versailles, aussi Louis XIV décida-t-il, en 1685-1688, de l’habiller. Un marchand du nom de Dautecourt fut payé pour du damas et du taffetas, un autre nommé Laleu pour des boutons au galon d’or ; un bonnetier nommé Nau confectionna quatre paires de bas de soie cramoisie ; les frères Dessart, marchands, fournirent du brocard or et cramoisi pour les vestes, tandis qu’un autre, du nom de Brion, fournit non seulement les drapeaux et fanions qui décoraient les bateaux, mais aussi les chemises et le linge de corps de l’équipage. Selon les comptes, ces équipements destinés aux gondoliers coûtèrent près de douze mille six cents livres. Ces chiffres montrent combien le Roi-Soleil tenait à cette sorte d’armée en uniforme, prête à la parade.
[…] La flottille servait aussi aux distractions de la cour, pour des promenades, accompagnées ou non, par la musique d’orchestres également embarqués. Les gondoles étaient souvent utilisées pour ces promenades, et y avoir accès régulièrement était preuve de privilège, comme à l’époque où la jeune dauphine, alors dans les bonnes grâces du roi, partageait jour après jour sa calèche ou sa gondole. Ou encore, comme le décrit Saint- Simon, lorsqu’en 1699 « Madame la duchesse de Bourgogne monta en gondole avec quelques-unes de ses dames et madame la duchesse dans une autre gondole ; elles demeurèrent sur le canal jusqu’au lever du soleil.»
Et si l’usage de la flottille fut essentiellement la promenade sur l’eau et les fêtes avec bals, feux d’artifice et banquets, les plus beaux moments furent certainement ceux de 1674, Les Divertissements de Versailles, auxquels collabora Lully, et où l’on joua Molière. Cette fête baroque dura deux mois et la magnificence du décor, la musique et les ballets, les feux d’artifices, les gondoles sur le Grand Canal participèrent à l’image du pouvoir. Le 19 juillet, la cour se vit ainsi proposer, après une collation à la Ménagerie, une traversée en gondole sur le Grand Canal. Et, pour le dernier jour, le 31 août, « lorsque Leurs Majestés eurent considéré la beauté de ces illuminations, elles montèrent dans des gondoles superbement parées, suivies du reste de la Cour […]. Dans le silence de la nuit, on entendait les violons qui suivaient le vaisseau de Sa Majesté.»On aima tant les gondoles à la cour que Louis XIV en fit mettre également à Marly après qu’y fut creusé le canal. Des gondoles toutes en couleur, « rouges, vertes, blanches, jaunes, bleues, couleur d’aurore. Et, pour les décorer ou les pavoiser le garde-meuble avait installé des ruissellements de splendeurs : brocards et brocatelles, satins de Bruges, velours de Gênes, de Florence, de Milan, taffetas cramoisi brodés et frangés d’or.»
On imagine avec peine aujourd’hui le mouvement et le faste qui pouvaient animer les pièces d’eau des parcs royaux, et l’attrait que l’on pouvait y éprouver pour des gondoles circonscrites dans ces bassins. Mais les gondoles de Venise ont toujours été un objet de fascination, un rêve d’exotisme et de magnificence, un symbole de privilège. Et jusqu’à la fin du règne, en dépit des remontrances de M. Fagon qui redoutait un risque de rhumatismes pour le roi, cette flottille aux allures vénitiennes continua de sillonner le Grand Canal, toujours disponible pour des promenades ou des concerts.
Durant les règnes suivants, il y eut encore des gondoles à Versailles. Les gondoliers vénitiens avaient fait souche en France, et leurs petits-fils perpétuaient la tradition en faisant voguer les princesses et la cour sur les eaux du Grand Canal. Cette flottille fut entretenue jusqu’à la Révolution puis disparut. Mais, depuis, au fil des siècles, les gondoles n’ont finalement jamais cessé de retrouver leur place sur le Grand Canal, comme lors de cette soirée magique de juin 1908, lorsque les thèmes jumeaux de Venise et de Versailles furent réunis en l’honneur de Gabriel Fauré, et où les invités embarquèrent sur une flottille de gondoles au son d’un piano Pleyel… jusqu’aux dernières fêtes vénitiennes qui célébrèrent Vivaldi à Versailles il y a plusieurs années.
Soline Anthore,
historienne de l’art
À LOUER
Une barque sur le Grand Canal
Départ à la Petite Venise
Tous les jours, sauf le lundi. Horaires variables selon le jour et la saison : en savoir plus.
Fermeture annuelle entre mi-novembre et fin février.
Fermé en décembre, janvier et février
30 min : 14 € – 1h : 18 €
4 personnes maximum par barque ou 5 avec des enfants.
Retrouvez cet article et bien d’autres dans le n°10 de la revue Château de Versailles, juillet-septembre 2013. La revue Château de Versailles est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château.