Dans le cadre de la réfection du cabinet d’angle ont été également restaurés ses meubles somptueux, parmi les plus fastueux du château de Versailles. Parmi eux, la commode-médaillier de Gaudreaus, datant de 1738, dont a été chargée, au sein de la Conservation, la jeune ébéniste des ateliers du Château, Éléonore Villeneuve.
La commode-médaillier de Gaudreaus au sein du cabinet d’angle du Roi. ©EPV / Didier Saulnier.
Parmi les ors du cabinet d’angle, tout juste restauré, trône le médaillier d’Antoine Robert Gaudreaus, lui-même gainé d’or en ses bronzes qui le recouvrent en grande partie. Campé sur ses pieds que couronnent des têtes de bélier, il arbore enroulements, palmes, rubans et guirlandes de fleurs selon un décor rocaille exubérant. On en néglige son placage en bois de violette qui détermine pourtant ses formes très sophistiquées.
L’ébéniste Eléonore Villeneuve en train de fixer l’un des médaillons en bronze doré de la commode à l’occasion de sa restauration. © château de Versailles / Thomas Garnier.
Un assemblage au millimètre près
Éléonore Villeneuve connaît les moindres détails de cette commode tout à fait exceptionnelle. Chargée de sa restauration, elle en souligne l’extrême raffinement : « Regardez comme avec une seule et même matière, le ciseleur a réussi à créer des effets », dit-elle en admirant le pelage des têtes de bélier, avec ses « mats » et « brunis » qui, en captant la lumière différemment, apportent les nuances.
Détail des pieds du médaillier, démontés pour leur nettoyage, que surmontent des têtes de bélier. © château de Versailles / Thomas Garnier.
L’ensemble de ces bronzes dorés a été démonté afin de décrasser chaque élément et lui rendre ainsi un éclat qui avait été oublié. Simple opération de nettoyage, confiée à un restaurateur extérieur habilité, mais qui a nécessité la plus grande minutie au niveau du démontage : la place exacte de chacune des pièces a été répertoriée précisément ainsi que chaque élément de fixation. Pas question d’intervertir deux vis qui, fabriquées à l’époque manuellement, ne peuvent rentrer que dans leur trou d’origine !
Vis de fixation répertoriées en fonction de leur emplacement exact sur le meuble. © château de Versailles / Thomas Garnier.
Des techniques les plus traditionnelles aux plus récentes
Éléonore, en tant qu’ébéniste de l’atelier du Château, est intervenue sur les placages qui n’ont pas eu besoin d’être désolidarisés du bâti. Cette commode, en effet, est restée dans un bon état de conservation. Aucune trace d’infestation d’insectes ou de déformation notable de la structure, sauf au niveau du galbe des portes où se sont dissociés certains bois qu’Éléonore a dû stabiliser. La technique sous vide, qui favorise la pénétration de la colle entre les bois, a été fort utile. Mais, pour maintenir, pendant leur recollage, les fonds d’écaille des côtés de la commode, Éléonore s’est servi de simples sacs de sable (protégés), pouvant parfaitement épouser le cintre du bâti, comme on le faisait au XVIIIe siècle. Ce mixte de techniques actuelles et anciennes a beaucoup plu à l’ébéniste qui se voit comme un « petit maillon de l’histoire pour permettre aux œuvres de perdurer ».
Finition et harmonisation
L’état du médaillier a permis de conserver sa finition existante, un vernis ancien composé de résines naturelles. Les encoignures qui l’accompagnent ont, quant à elles, fourni l’occasion d’utiliser à nouveau un vernis mis au point il y a quelques années à partir de sources anciennes : un vernis « Roubo », du nom de l’auteur de L’art du menuisier, écrit à la fin du XVIIIe siècle.
Les bronzes dorés démontés. © château de Versailles / Thomas Garnier.
Ensuite, c’est toute une question de dosage. Éclat des bronzes nettoyés, brillances des différents vernis employés : « Le secret d’une restauration, c’est de savoir avancer progressivement » afin de maintenir l’homogénéité d’origine du mobilier, ici assurée par le choix de matériaux d’exception tels que le bois de violette formant les frisages1 et le rouge griotte des dessus de marbre des encoignures, du médaillier et de la cheminée.
Dernier instant avant de laisser partir le médaillier à son emplacement : la vérification de ses serrures. Leurs cliquetis familiers suscitent un petit pincement de cœur, mais Éléonore garde, comme ultime prérogative, le secret des intérieurs du médaillier, de magnifiques marqueteries en bois d’amourette.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
- Le frisage est une technique de décoration en mobilier consistant à joindre des feuilles de placage pour réaliser un motif défini : frisage en losange, en chevron, en pointe de diamant, etc.
Le médaillier de Gaudreaus restauré et réinstallé dans le cabinet d’angle du Roi. © château de Versailles / Didier Saulnier.
Un meuble conçu dès l’origine
pour le cabinet d’angle du Roi
Meuble emblématique du cabinet de travail voulu en 1738 par le roi Louis XV lors du réaménagement de son appartement intérieur, le médaillier, en forme de commode, est lié dès sa livraison, le 10 janvier 1739, à ce cabinet « à pans ». Il en occupa d’abord l’un des angles, en symétrie d’une cheminée aménagée dans l’autre pan : leurs marbres de griotte d’Italie se faisaient écho.
Conçu par les frères Slodtz qui en exécutèrent les bronzes avec la participation d’Antoine Gaudreaus pour l’ébénisterie, le médaillier devait abriter l’Histoire métallique du règne. Et quand les pans de la pièce furent supprimés au profit du cabinet d’angle, le médaillier changea seulement de place ; en harmonie avec lui, deux encoignures de Joubert augmentèrent, en 1755, la capacité de rangement de cette collection royale unique. C’est le roi Louis XVI qui décida du transfert de cette collection, avec les médaillers qui la renfermaient, le 11 avril 1780, à la Bibliothèque du roi à Paris.
Le médaillier de Gaudreaus revint une première fois, en 1957, à Versailles pour la visite de S.M. la Reine Elisabeth II d’Angleterre, puis définitivement en 1961. Exemple exceptionnel d’un rocaille foisonnant, il décline, dans un décor de palmes généreuses, le vocabulaire antiquisant requis pour un meuble d’une telle vocation, tels les médaillons à l’antique des vantaux et les béliers de bronze imposants des pieds. Élégance des lignes, somptuosité des matériaux et richesse du programme iconographique au service de la Monarchie.
Élisabeth Caude, conservateur général du Patrimoine
au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
À VOIR
La commode-médaillier de Gaudreaus, dans le cabinet d’angle du Roi
lors de la visite guidée « Appartements privés des rois ».
Sur réservation par téléphone aux 01 30 83 78 00 ou en ligne sur châteauversailles.fr
