En complétant des allées forestières très affectées par les tempêtes, le château de Versailles est en pleine recomposition des abords de son domaine, remodelant par là même le paysage qui l’environne. Il invite à une déambulation sur des chemins que Véronique Ciampini, chargée de ces projets au sein de la Direction du Patrimoine et des Jardins, n’a cessé de prendre. Celle-ci nous confie sa Manière de montrer le Grand Parc.
Lorsque l’on s’éloigne un peu des parcours balisés des jardins, le parc de Versailles ménage de belles surprises.
Au pied du Tapis vert, le promeneur est d’abord irrésistiblement happé par l’infini de l’axe royal. Son regard se perd vers l’horizon de la plaine de Versailles, accompagné par les effets de perspective ingénieusement mis en place par Le Nôtre, appuyés par les margelles du Grand Canal et les alignements d’arbres qui l’encadrent.
Succession d’ambiances et de paysages
Poursuivant son chemin vers le nord par l’allée de la Reine, en direction des Trianon, le promeneur peut laisser le rythme de ce quadruple alignement régler sa marche suivant l’alternance d’ombre et de lumière créée par les fûts des hêtres. La place d’Armes du Grand Trianon s’offre à lui comme une grande clairière avant qu’il ne replonge dans l’obscurité de l’allée des Mouchards. Réservant les jardins des Trianon à une prochaine escapade, il traverse l’espace du Fer à Cheval ouvert sur le bras du Grand Canal, puis s’enfonce dans le sentier forestier du ru de Gally.
En quelques centaines de mètres, la promenade décline ainsi les jeux de clair-obscur, d’ouverture-fermeture, de proche et de lointain. Il faut se laisser inonder de lumière, profiter de cette absence de limites, ressentir sa menue place dans l’espace avant de retrouver l’ombre bienfaisante, la contenance rassurante des boisements, le bruissement familier des feuillages, des insectes et des oiseaux. Le parc, au détour des allées et des parcelles forestières, offre tous les méandres possibles à ces expériences. Un peu égaré dans ses pérégrinations, le promeneur retrouvera toujours le repère d’un alignement d’arbres. De vastes allées le reconduiront souvent vers le Grand Canal, depuis lequel il pourra reprendre son cap.
S’engager dans une de ces allées de bout en bout, c’est se laisser étonner par la succession des paysages. L’allée de Saint-Cyr se prête parfaitement à l’exercice. Depuis la petite butte où elle prend son élan, à l’angle de l’allée des Rendez-vous, elle offre un véritable panorama sur le Domaine. S’étagent les hautes chênaies puis les larges parcelles agricoles, se perçoit plus loin le ressaut humide du ru de Gally, et enfin l’ordre des alignements de tilleuls qui annoncent l’Étoile royale, à plus d’un kilomètre de notre point de vue. L’œil est sollicité par le jeu de toutes ces lignes qui tiennent le regard dans la perspective ou ouvrent un grand-angle.
Place aux sensations
Les saisons offrent toute une palette colorée et changeante. Aux effets contrastés de contre-jour des ramures dénudées de l’hiver quand descend le pâle et bas soleil succèdent les camaïeux de vert du printemps, entre jeunes pousses des arbres, prairies et cultures. L’été nous livre le tableau impressionniste des coquelicots mêlés aux chaumes blonds et ondoyants des champs, encadré par les rangées de chênes et de tilleuls. Chaque semaine de l’automne décline les variations des feuillages, des verts les plus soutenus aux jaunes déjà piquetés de bruns.
Les autres sens sont tout autant sollicités. Au fil des mois, ce parcours dispense ses senteurs de sous-bois ou de pelouse brûlée par le soleil, la douceur de la brise, ou les rafales cinglantes du vent qui court à travers la plaine. Les pas résonnent sur les sols dont affleurent les calcaires ou s’enfoncent jusqu’au plus haut des bottes dans cette boue lourde rappelant la présence des glaisières toutes proches, où l’on puisa l’argile qui étanche les bassins et le Grand Canal.
Véronique Ciampini,
Conductrice d’opérations à l’Établissement public du château de Versailles.
Une campagne de replantation en trois actes
Sur trois hivers, le domaine de Versailles a engagé de grandes campagnes de replantation en faveur des alignements d’arbres marqués par les tempêtes. À l’extrémité nord-ouest du Parc, l’allée de Saint-Cyr, en particulier, avait été très abîmée par celle de 1999. Au-delà du Grand Canal, depuis l’Étoile royale, 450 chênes ont été plantés, fin 2019, pour redonner de sa superbe à cette voie de circulation monumentale, jadis conçue pour les parties de chasse.
Croisant celle de Saint-Cyr, la longue allée de Bailly, qui s’étend de l’esplanade du Fer à Cheval jusqu’à la porte de Bailly, vient d’être complétée de 160 chênes à son extrémité ouest. Cette replantation va assurer un rôle majeur dans la protection des vues lointaines du Domaine. Au-delà des murs, cette partie est très ouverte vers des infrastructures, notamment autoroutières, qui perturbent la lecture d’un paysage agricole. Les arbres, selon un quadruple alignement, forment désormais un premier plan. Leurs couronnes vont peu à peu, en s’étoffant, venir flouter les constructions modernes.
Un jeu de masque végétal similaire est en préparation aux confins sud-ouest du parc, le long de l’allée de l’Accroissement. De l’autre côté du mur se profile le futur quartier de la caserne Pion. Des plantations en terrasses sont prévues pour atténuer la présence des nouveaux bâtiments dans la ligne d’horizon du Domaine. Nous projetons, sur nos parcelles, d’introduire plusieurs plans à la lecture de ce nouveau paysage en lui donnant de la profondeur. Au premier plan, à la croisée de l’allée des Paons et de l’allée de l’Accroissement, seront insérés, à l’hiver 2021, une centaine d’ormes et 120 tilleuls. Derrière, un nouveau boisement aux essences variées d’arbres et d’arbustes prendra place. Accompagné par ces strates végétales, le regard pourra s’échapper vers le ciel.
Ces restaurations d’alignements majeurs ont pour premier objectif de retrouver la composition d’origine du Domaine dans sa configuration de grand parc de chasse, en restituant les perspectives et les allées en étoiles qui ordonnent son dessin. Ces projets s’inscrivent dans une démarche plus large qui vise à contribuer à la continuité des corridors écologiques, à favoriser la biodiversité ou des essences moins sensibles au réchauffement climatique. Le choix des chênes, avec l’espèce Quercus robur, ou d’ormes résistants, avec le cultivar New Horizon, découle de ces priorités actuelles, non sans en référer à la palette des essences historiques.
Admirable descendance
Le domaine de Versailles réunit un ensemble unique d’arbres historiques qui ont résisté à tous les assauts du temps, y compris les tempêtes de 1990 et 1999. Ces « arbres admirables » font l’objet, depuis peu, de parcours spécifiques dans les jardins.
Cyprès chauve, genévrier de Virginie, hêtre tortillard, sophora du Japon… Des qualités singulières caractérisent ces individus, dont il s’agit de conserver l’ADN. Greffes ou boutures, une petite pépinière d’une centaine de mètres carrés va donc bientôt voir se développer les jeunes pousses de ces dignes ancêtres. Elle est aménagée du côté de Trianon, à l’emplacement même d’une ancienne pépinière créée pour Louis XV.
À SUIVRE
- Deux parcours audio sont proposés depuis peu sur les Arbres admirables, l’un au domaine de Trianon, l’autre dans les jardins du Château. Laissez-vous guider par les jardiniers Alain Baraton et Éric Quénéa pour découvrir et contempler ces géants qui, à Versailles, racontent tous des histoires, serrées entre leurs cernes.
À télécharger gratuitement dans l’App Store et sur Google Play : onelink.to/chateau - La visite guidée «Histoires d’arbres : promenade dans les jardins de Trianon »