Récemment inauguré, l’hôtel Airelles Château de Versailles a ouvert ses portes au pied des Cent-Marches. Le Grand Contrôle a été aménagé à destination d’une clientèle très haut de gamme. Sans faire de concessions, bien sûr, au détriment du caractère historique et patrimonial des lieux qui abritaient autrefois les ministres des Finances, puis l’Armée.
L’hôtel du Grand Contrôle était initialement connu sous le nom d’hôtel de Beauvillier, du nom de son premier propriétaire, premier gentilhomme de la chambre et proche de Louis XIV. Le duc de Beauvillier s’était fait construire cette résidence en 1681 par Jules Hardouin-Mansart au bas de la rue de la Surintendance [actuelle rue de l’Indépendance américaine]. Après sa mort en 1714, l’hôtel passa entre les mains d’un conseiller secrétaire du Roi, versé dans la finance, qui fit faillite deux ans plus tard. Louis XV racheta le bien en 1723.
Sérieusement remaniés au XVIIIe siècle et devenus bâtiments officiels de la Couronne, les deux corps de logis de l’hôtel furent dévolus aux Grand et Petit Contrôles, c’est-à-dire à l’administration financière de la monarchie, accueillant par là même les contrôleurs généraux [autrement dit les ministres] des Finances. Si certains noms sont assez emblématiques – comme ceux de Turgot, de Necker ou de Calonne –, on oublie souvent ceux moins connus des sieurs Coster, Villiers ou encore de La Roche figurant notamment dans les derniers inventaires ou encore dans l’Almanach de Versailles. Ces différents commis faisaient fonctionner les rouages administratifs de la grande machine économique de l’État. En creusant quelque peu leurs origines et réseaux, on s’aperçoit qu’ils étaient liés les uns aux autres, parfois intimement.
Maison de la baronne de Staël
Précisons aussi que les ministres eux-mêmes s’installaient souvent dans l’hôtel avec leur propre famille, tant et si bien que la jeune Germaine Necker, future baronne de Staël par son mariage en 1786 avec l’ambassadeur de Suède après avoir refusé le comte Axel de Fersen, y vécut assez jeune. Dès le premier mandat de son père, elle y fréquenta le salon prestigieux de sa mère, Suzanne Curchod, l’un des derniers de l’Ancien Régime, où furent reçus nombre d’artistes et d’écrivains célèbres tels Buffon, Bernardin de Saint-Pierre ou les collaborateurs de l’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert. C’est là que la romancière en devenir apprendra, au matin du 6 octobre 1789, l’invasion du Château (lire encadré ci-dessous) qui allait initier la déroute de la Cour et de tout l’appareil monarchique, vidant le Palais comme ses nombreuses dépendances.
Tribunal de commerce de la ville en 1792, l’hôtel du Grand Contrôle fut finalement réaffecté au Domaine sous l’Empire. Y prirent place, notamment, l’appartement et les bureaux de Frédéric Nepveu. Après la chute de la monarchie de Juillet, l’architecte du Palais tenta de racheter le bâtiment, en vain. Celui-ci fut dès lors affecté à l’Armée, qui le conserva comme Cercle militaire1 de 1873 à 2009.
Mathieu da Vinha,
Directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles.
1. Sur cet aspect, voir Philippe Cachau, « Les hôtels de Beauvillier, de Chevreuse et Colbert de Croissy : trois réalisations méconnues de Jules Hardouin-Mansart à Versailles », Revue de l’histoire de Versailles et des Yvelines, t.93, 2011, p. 20-38, p. 31-32.
Le « corridor » jusqu’au château
« Le 6 octobre, de grand matin, une femme très âgée, la mère du comte de Choiseul-Gouffier, […] entra dans ma chambre ; elle venait, dans son effroi, se réfugier chez nous, quoique nous n’eussions jamais eu l’honneur de la voir. Elle m’apprit que des assassins avoient pénétré jusqu’à l’antichambre de la reine, qu’ils avoient massacré quelques-uns de ses gardes à sa porte, et que, réveillée par leurs cris, elle n’avoit pu sauver sa propre vie qu’en fuyant dans l’appartement du roi par une issue dérobée. Je sus en même temps que mon père étoit déjà parti pour le château, et que ma mère se disposoit à le suivre ; je me hâtai de l’accompagner.
Un long corridor conduisoit du contrôle général où nous demeurions, jusqu’au château ; en approchant, nous entendîmes des coups de fusil dans les cours ; et, comme nous traversions la galerie, nous vîmes sur le plancher des traces récentes de sang. […] »
Baronne de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, in Œuvres complètes de Mme la baronne de Staël, publiées par son fils, tome douzième, Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1830, p. 235.