Afin de photographier les animaux du domaine, le château de Versailles a fait appel à une étoile montante, Jérémie Villet, qui a reçu plusieurs prix pour ses clichés dans la neige. Reportage à l’affût du photographe qui a réalisé de magnifiques clichés, réunis dans la dernière version papier des Carnets de Versailles.
Avec son visage d’ange et son physique gracile, il pourrait avoir des ailes dans le dos, ce ne serait pas surprenant. Malgré l’imposant téléobjectif qui ne le quitte pas, Jérémie semble effleurer le sol. Est-ce pour cela que les bêtes ne le fuient pas ? En l’occurrence, dans le parc de Versailles, le photographe précise que rien ne pourrait déranger les animaux. Ceux-ci sont rompus au va-et-vient des touristes. Notre conversation ne risque pas de les gêner, affirme-t-il, ajoutant avec humour : « Deux techniques sont possibles pour les observer : soit ressembler à un visiteur, soit à une statue ! »
Il est vrai que les sculptures peuplent ces jardins qu’elles gorgent de symboles et de références antiques. Un vrai défi pour Jérémie qui s’est fait connaître avec ses clichés dans des lieux enneigés : « Au milieu du blanc, je peux me concentrer sur l’essentiel. Je me sers de ce vide autour de l’animal pour y faire une place à l’imaginaire. Ici, à Versailles, l’imaginaire est déjà partout présent, dans l’architecture, à travers les cheminements et par le biais de toutes ces statues qui racontent de multiples histoires. » Quant aux dispositions des jardins à la française, spécifiques à Versailles, avec leurs palissades, elles ne l’ont pas gêné, bien au contraire. « Grâce aux perspectives et aux lignes toutes tracées, la composition de l’image est faite ! Il ne me reste plus qu’à capter la présence animale, celle qui, justement, forme la part sauvage de cette nature corsetée. » Jérémie cite alors le renard, très présent sur le site, mais suffisamment intelligent pour éviter d’être surpris. Il surgit en dehors des horaires d’ouverture et son irruption dans les allées trouve sens aux yeux du photographe : c’est la vie incontrôlable qui reprend le dessus.
Oiseaux et quelques mammifères
Logé à la maison du Jardinier1, près du Grand Trianon, Jérémie a pu travailler au petit matin et rester tard à l’affût pour croiser les animaux les plus discrets comme un grand faucon hobereau, un hibou moyen-duc, aux yeux rouges, ou quelques chouettes œuvrant dans la nuit. Pas de sangliers, en revanche, et peu de chevreuils que Jérémie voudrait voir passer devant le Grand Canal. Il en a raté un, l’autre jour, et la déception ne l’a pas découragé, bien au contraire : « Comme je le fais, exactement de la même façon, à l’autre bout du monde, je vais y retourner, encore et encore. » Jérémie revient aux oiseaux, notamment les hirondelles qui virevoltent devant les fenêtres de la galerie des Glaces. Chacune a élu domicile dans l’anfractuosité d’un casque ou d’une couronne, clefs d’arc de ces baies. Fichant leur bec dans les mares de boue laissées par une ondée, elles fabriquent leur nid à la couleur de la terre, semblable à celle de la façade du château. Une harmonie qui inspire Jérémie et est peut-être le vrai sujet de ce reportage dont la particularité est de prendre place dans l’un des monuments les plus somptueux de la planète.
« Le photographe a su attendre l’instant magique, quand la bergeronnette s’est faufilée le long de l’encolure de l’un des Chevaux du Soleil, celui-ci semblant s’être retourné sur son passage, baissant les yeux sur elle. »
Concordance de lieux
Né dans une ferme, au milieu des champs, le jeune homme connaît parfaitement la faune de nos contrées et a repéré sans difficulté les diverses espèces qui séjournent dans le parc. Il m’entraîne ainsi vers le bosquet des Bains d’Apollon où a niché un oiseau qui n’a rien à faire là : une bergeronnette des ruisseaux, habituée des torrents de montagne. Comment est-elle venue jusqu’ici ? La grotte artificielle conçue par Hubert Robert pour Louis XVI présente un écosystème comparable où elle a pu retrouver des cavités rassurantes et le ruissellement de l’eau.
Le photographe a passé plus de vingt heures à surveiller ses moindres déplacements. « Avec le grondement des cascades, le parfum des sureaux, l’agitation des moucherons au-dessus du bassin, tous les sens sont sollicités. Comme il est impossible de retranscrire ces sensations sur la photo, la difficulté est de s’en détacher. » Il fallait néanmoins absolument profiter d’un décor exceptionnel, unique : celui des trois groupes sculptés au temps de Louis XIV qui agrémentent les lieux. Le photographe a su attendre l’instant magique, quand la bergeronnette s’est faufilée le long de l’encolure de l’un des Chevaux du Soleil, celui-ci semblant s’être retourné sur son passage, baissant les yeux sur elle… « Il y a là une vraie coïncidence. De même que le sculpteur fige le mouvement dans le marbre ou la pierre, le photographe, en le fixant sur la pellicule, le tient en suspens. » Avec une différence notable, selon Jérémie : le sentiment tenace, avec la sculpture, de la gravité tandis que la photographie s’en affranchit aisément, par un cadrage approprié, à tire-d’aile.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
1 Résidence d’accueil pour les chercheurs, artistes et conservateurs : lire Les Carnets de Versailles nº 20, p. 86.
Article publié dans Les Carnets de Versailles n°21 (octobre 2022-mars 2023).