Cette courte histoire a un grand mérite : elle nous fait entrer de plain-pied dans un intérieur XVIII^e dont sont donnés tous les détails. La réédition de La Petite Maison, écrite par Jean-François de Bastide (1724-1798) vers 1753, ravira les passionnés d’arts décoratifs.

Détail d’une console dans le goût de Nicolas Pineau, vers 1730. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.

Afin de conquérir Mélite, le marquis de Trémicour l’emmène découvrir sa « petite maison », une résidence de campagne située par Bastide en bordure de la Seine. Il compte sur l’émerveillement de la belle pour l’entraîner jusqu’à son boudoir, bordé d’arbres artificiels tel un « bosquet naturel », éclairé par des girandoles couvertes de gazes pour tamiser la lumière et peint d’une couleur « appliquée par Dandrillon de manière qu’elle exhale la violette, le jasmin et la rose. »

Un raffinement poussé à l’extrême
L’auteur a-t-il sciemment pris ce prétexte pour offrir une telle description ? Toujours est-il que l’assiduité de Trémicour nous vaut la visite par le menu de cette maison décorée avec tout le raffinement du XVIII^e siècle. Un raffinement extrême, à peine croyable, mais Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, l’affirme, dans sa préface du livre : « La description fournie par Bastide pourrait relever d’un idéal inaccessible, voire de l’invention, mais force est de constater qu’elle correspond bel et bien aux œuvres de l’époque. Le plan de la maison est celui des pavillons que firent construire quelques années plus tard madame Du Barry, les demoiselles Guimard et Dervieux, et le comte d’Artois. Le jardin est celui de Gournay, au bord de la Marne, et les illuminations sont celles des fêtes données à Versailles sous Louis XV ».

Terrine, par François-Thomas Germain, 1755. Paris, musée du Louvre. © RMN-GP (château de Versailles) / droits réservés.

Lambris peints, parquets, marbres, meubles, porcelaines, girandoles, glaces, tentures, tout est précisé, avec les emplacements exacts, bien au-delà de ce que l’on peut espérer avec les inventaires après décès habituellement consultés pour la connaissance des lieux anciens. Tour à tour surgissent les artistes prisés en ce milieu de XVIII^e siècle, architectes et peintres, mais aussi ornemanistes, orfèvres ou bronziers, scrupuleusement mentionnés¹ par Trémicour pour mieux impressionner Mélite.

Vénus instruisant l’Amour à tirer à l’arc, par Louis-Claude Vassé, 1755-1760. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean

Celle-ci, comme le précise l’auteur, n’ayant jamais perdu de temps avec les galanteries, a le goût, mais aussi les connaissances pour en apprécier les ouvrages. Résistant encore aux allusions du flagorneur, elle poursuit son exploration jusqu’à un extraordinaire appartement des bains dont est passé en revue le mobilier : baignoire, lit de mousseline des Indes, toilette d’argent, jatte de porcelaine, meubles aux bois d’aventurine appliqués par Martin…

Mais c’est lors d’un détour dans le jardin que la jeune femme finit par se troubler. À la lumière vacillante des lampions, au son de « quelques instruments champêtres », s’y déploient les nouveautés du jardin paysager décrites par Bastide. Le laque « du plus beau de la Chine » qui revêt un cabinet de jeu et les tables volantes de la salle à manger auront raison des réticences de Mélite qui cède plus aux artifices de l’art – si bien détaillés à notre profit – qu’aux flatteries de l’habile Trémicour.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1. Et dont les noms et les dates sont précisés, ce qui n’est pas sans intérêt, par l’éditeur de cette publication.

La Prudence, tableau en grisailles par François Boucher pour la chambre de la Reine, 1735. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux.

À LIRE

Jean-François de Bastide, La Petite Maison, avec une préface de Jacques Moulin, Prilly, Presses Inverses, nov. 2022.
13 x 19 cm, 92 pp.
Prix : 20 €

et aussi

Yves Carlier, Le Style Louis XV, château de Versailles / éd. In Fine, fév. 2023.
19,5 x 25 cm, 128 p., 25 €