Les quatre groupes sculptés au niveau des grilles de l’orangerie exigeaient d’être restaurés, mis à l’abri et remplacés par des copies.
Un sujet monumental, avec un premier obstacle : la difficulté à trouver une pierre de même qualité.
Dur comme la pierre ! Changé en pierre ! Cœur de pierre ! Et pourtant… Que de subtilités dans la provenance, la robustesse, la tendresse, la teinte de ce matériau, souvent considéré un peu trop légèrement comme local, voire basique ! Les compagnons maçons savaient choisir les pierres des édifices en fonction notamment de leur usage, selon leur résistance, leur aspect, leur taille, leur disponibilité, leur visibilité… En effet, les lieux et techniques d’extraction n’étaient pas simples. Et, même si le calcaire provient en Île-de-France de roches sédimentaires, son exploitation était titanesque. Elle reste délicate et précieuse.
Le repérage de blocs de grandes dimensions
Il faut savoir que, pour concevoir et réaliser ces architectures aux décors somptueux, le roi nommait les plus grands artistes, qui eux-mêmes choisissaient les meilleurs matériaux. Les groupes sculptés des grilles des Cent marches, dont la restauration s’achève, ont été taillés dans la pierre de Saint-Leu, matériau de prédilection pour le château de Versailles. Celle-ci se situe sous forme de couche à une vingtaine de mètres sous la surface de la Terre, au fond d’un banc, derrière toutes les strates de pierre de Saint-Maximin, utilisée plus largement pour la construction. À l’occasion des travaux de restauration de la Chapelle royale, nous nous étions déplacés, en octobre 2018, dans deux carrières de l’Oise. Dans ces lieux déchirés, la nature éventrée nous donne à voir ces bancs de pierre. De grosses machines de travaux publics creusent, cassent, retournent, transportent des blocs, au fond de larges trous dans un bruit infernal. La roche est souvent concassée pour des usages routiers, mais les blocs de grandes dimensions sont repérés et sélectionnés. Entreposés sur le côté, vérifiés par les exploitants des carrières, ces gigantesques blocs ornementaux sont numérotés et attendent preneurs. Pourtant, ils peuvent révéler des faiblesses (fraction, pathologie, mauvaise conception) qui vont compromettre leur usage pour la taille des sculptures.
« D’une hauteur de 3 mètres et demi et d’une largeur de 4 mètres et demi, chaque groupe nécessitait pour sa copie entre vingt-cinq et trente blocs, d’un poids variant entre 50 kilos et 2 tonnes. »
La pierre de Saint-Leu, favorite au château
Dans le cadre du chantier de restauration de l’ensemble des grilles de l’orangerie, financé par les départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine, l’architecte en charge du projet1 a retenu naturellement la pierre d’origine, dont les propriétés sont toujours adaptées. D’une hauteur de 3 mètres et demi et d’une largeur de 4 mètres et demi, chaque groupe nécessitait pour sa copie entre vingt-cinq et trente blocs, d’un poids variant entre 50 kilos et 2 tonnes. Soit, au total, une centaine de blocs, choisis chez son carrier par l’entreprise retenue, et qui nous a réservé quelques surprises, différant l’installation de certains groupes, en raison de pierres qui n’ont pas résisté à la taille.
L’usage de la technologie au service du sculpteur
Pour réaliser la copie des groupes sculptés, figures de l’antiquité conçues vers 1687 par Pierre Legros et Louis Le Conte, altérées par le temps et les restaurations successives, l’architecte a choisi une méthodologie moderne : il a opté pour la technologie numérique, tout en valorisant le geste irremplaçable du sculpteur. Les groupes originaux ont été nettoyés, puis scannés. Des maquettes en polystyrène ont été taillées, grandeur nature pour les deux premiers groupes, à partir de ces fichiers. Elles permettaient de mieux visualiser les modifications à apporter en fonction des éléments lacunaires, de l’érosion importante ou de restaurations antérieures inadaptées. Ces modelages à la fois physiques et virtuels ont été complétés par étapes, lors de séances scientifiques, à l’aide de plâtre sur les maquettes, afin d’approcher les formes initiales avec le plus d’exactitude et de cohérence. Puis des robots ont dégrossi, par vagues successives, chacun des énormes blocs issus de la carrière. Le sculpteur les a ensuite retaillés un à un, avant leur repose suivant un calepinage étudié.
Il a apporté les traits de finition sur un échafaudage en haut des piliers, à l’issue de plusieurs mois de travail, pour que la lumière joue avec la pierre et que l’eau s’écoule sans l’altérer. Les groupes sculptés des premières Cent marches ont été, en effet, installés fin 2021. Ceux des deuxièmes Cent marches viennent d’être montés sur leurs piles et nous pourrons, de même, admirer la qualité de cette pierre et celle de sa sculpture qui rendent hommage à ces visages expressifs, ces mouvements précis, ces décorations subtiles, imaginés et créés par les artistes du Roi-Soleil pour scander cette magnifique perspective de l’orangerie : son parterre encadré de ces gigantesques escaliers, ses grilles dorées monumentales, la paisible pièce d’eau des Suisses sillonnée par les cygnes, puis, au pied du flanc de la colline de Satory, Louis XIV sous les traits de Marcus Curtius par Le Bernin.
Sophie Lemonnier,
directrice du patrimoine et des jardins de l’Établissement public de Versailles.
La restauration des grilles et des décors sculptés de l’orangerie est menée grâce au soutien du conseil départemental des Hauts-de-Seine et de celui des Yvelines.
1 Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques.
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