S’il fallait incarner l’énergie, on choisirait Nicole Bru. Docteur en médecine, elle hérite d’un empire – les laboratoires UPSA – à la mort brutale de son mari, en 1989. Depuis, elle fait vivre leurs convictions communes sur la vie, sur le monde, sur l’entreprise, avec une autorité adoucie par une inlassable curiosité bienveillante envers les autres.
Sa Fondation, créée en 2005, est le reflet des engagements de ce couple en faveur de la recherche, de la culture, de l’enseignement ou des plus malmenés par l’existence, comme les jeunes filles victimes de violences sexuelles. Un amour partagé pour Venise et pour la musique a ressuscité le Palazzetto Zane et le patrimoine musical français du XIXe siècle qui trouve, chaque saison, un écho à l’Opéra Royal. Et puis un jour, Nicole Bru a décidé de rendre possible la restauration du Buffet d’eau dans les jardins de Trianon. Grand mécène de la Culture, elle est désormais grand mécène de Versailles.
Quel est votre premier souvenir du château de Versailles ?
J’étais élève au lycée La Bruyère, avenue de Paris, quand j’avais seize ans, puis, plus tard, j’ai fait un stage à l’hôpital de Versailles. C’est à ce moment-là que j’ai visité le château. Avant, je me souviens surtout de cette façade immense, imposante, qui semblait barrer l’avenue. Cette image donnait envie d’aller plus loin, de s’aventurer derrière les grilles.
Vous avez choisi d’apporter votre soutien à la restauration du Buffet d’eau dans les jardins de Trianon. Qu’est-ce qui a déterminé votre choix ?
Mon amour pour Versailles et l’absolue nécessité d’assurer la pérennité du Buffet d’eau, de cette œuvre unique qui menaçait ruine. Le projet de restauration que vous, avec vos équipes, m’avez présenté m’a immédiatement séduite.
Vous avez suivi toutes les étapes de cette restauration. Qu’est-ce qui vous étonne le plus dans ce travail exceptionnel ?
J’ai été bluffée par l’organisation du chantier, par l’expertise de tous, de l’architecte aux fontainiers. En particulier, j’ai été impressionnée par ma visite à la Fonderie de Coubertin où ont été restaurées – j’allais dire comme un chirurgien, réparées – les sculptures. La qualité du travail, l’esprit de compagnonnage que l’on ressent dans cette ruche où chacun s’active pour le meilleur, la passion qui règne dans les ateliers, portent au plus haut les réalisations qui sortent de ce lieu assez incomparable.
« La transmission doit être, pour chacun de nous, essentielle : elle est le lien qui nous rattache à notre histoire et nous permet de comprendre le présent. »
L’enjeu, pour les années à venir, est de transmettre ce patrimoine aux générations futures. Vous êtes un grand mécène de la Culture, et notamment de la musique. Quel discours tiendriez-vous aux jeunes pour les inviter à Versailles ?
La transmission est pour moi une préoccupation majeure. Nous avons ainsi créé des écoles primaires dans des régions pauvres, comme l’Atlas au Maroc. Au sud-ouest de la Birmanie, dans le village de Pa Sut, nous avons construit un dispensaire et une école primaire en donnant la possibilité aux meilleures élèves de poursuivre des études supérieures à Rangoon ou à Myeik. Nous avons alors découvert qu’à Myeik, ex Mergui, débarquèrent des mousquetaires et des jésuites dans le cadre d’une ambassade envoyée en 1687 par Louis XIV au Roi de Siam. À l’université de Beihang, nous avons permis la création de la première grande école d’ingénieurs francophones en Chine : l’École Centrale Pékin, issue d’une coopération sino-française particulièrement innovante. Elle forme des ingénieurs polyvalents, trilingues (chinois, français et anglais), avec un cursus qui leur permet de travailler en Chine comme en France. La transmission doit être, pour chacun de nous, essentielle : elle est le lien qui nous rattache à notre histoire et nous permet de comprendre le présent. Il faut faire venir les jeunes à Versailles, leur en donner les clés ! L’histoire n’a pas, dans l’éducation, la place qu’elle mérite. Il faut que les élèves sortent de leur classe et découvrent les événements là où ils se sont passés. Il faut imaginer des visites pour les familles, animées par des professeurs et des conservateurs, afin de mêler les points de vue, de faire vivre ce passé, de faire rêver. Je reconnais que tout cela nécessite beaucoup de disponibilité et de moyens. Mais il ne faut jamais désespérer.
Que représente aujourd’hui, selon vous, le château de Versailles qui fête ses quatre cents ans ?
Partout où se porte le regard, à l’intérieur comme à l’extérieur, la beauté, l’équilibre, la grandeur suscitent l’émerveillement. Depuis Louis XIII, notre passé s’invite dans chaque partie du domaine. Pour moi, Versailles est une compilation de lieux, de monuments, d’œuvres grandioses. Et, si vous le permettez, je ferai une mention spéciale pour l’Opéra Royal où la musique que nous contribuons à faire vivre avec notre Fondation prend une couleur, une résonance si particulières. Pour les mélomanes, je le sais, Versailles désormais, c’est – aussi – la musique.
Propos recueillis par Catherine Pégard,
Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles