Sur le chemin menant au Buffet d’eau vient d’être restitué un magnifique parterre de gazon selon des dispositions choisies par Richard Mique, au temps de Louis XVI. Grâce à un plan retrouvé dans les archives, les jardiniers de Trianon se sont livrés à une véritable expérimentation.
Ce parterre est le troisième à Versailles, après ceux de l’orangerie et de Latone, à être réalisé selon des motifs de compartiments de gazon. Tiré au cordeau, au sens propre du terme, il est parfaitement délimité par des bordures de buis, ses volutes généreuses soigneusement cerclées, comme elles l’étaient autrefois par des voliges de bois. Il présente des dispositions classiques du XVIIIe siècle, avec des pans coupés et des enroulements se déployant autour de disques centraux. La symétrie de son dessin facilite sa lecture et la netteté de son tracé a un effet apaisant. Dans la lumière rasante de la fin de l’hiver, les épaisseurs sont accentuées et l’herbe luisante paraît d’autant plus charnue.
Derrière l’élégance, des défis à relever
Considéré comme le père de l’agronomie française, Olivier de Serres, au tout début du XVIIe siècle, comparait le parterre à « un tableau d’exquise peinture, sorti de la main d’un bon maître ». Il faut, en effet, de la virtuosité pour exécuter ces splendides motifs végétaux. L’évidence du tracé ne laisse pas paraître les difficultés qu’ont dû surmonter les jardiniers pour l’obtenir, malgré des pentes contradictoires qui les ont empêchés d’avoir recours au niveau à bulle. Elena Secondo, responsable des parterres du Grand Trianon, a passé quelques nuits blanches à s’en inquiéter : « Nous nous sommes trouvés face à un véritable défi, raconte-t-elle avec une pointe d’accent italien, tous les soirs, je continuais à y penser en essayant d’esquisser des solutions. »
Ces problèmes de géométrie dans l’espace confrontée à la réalité du terrain n’offrent pas beaucoup de témoignages sur lesquels s’appuyer : « À l’époque, on se servait d’un maillage de cordes tendues, mais suivant des procédés que l’on ne sait plus très bien reproduire », poursuit Elena. Le plus explicite sur la manière de réaliser « un vrai compartiment de lignes rompues » est Daniel Loris qui, en 1629, propose dans son Thresor des parterres de l’univers des modèles de mailles à partir desquels déterminer les « carreaux » et les « allées ». Par la suite, d’autres traités aborderont la mise en œuvre de ces parterres qui évoluent au fil du temps. Avec les fleurs, la broderie de buis prospère au XVIIe siècle selon des motifs foisonnants avant de laisser la place, au XVIIIe siècle, à des compositions plus sobres et aérées où le gazon triomphe.
Un plan précieux pour en connaître l’état sous Louis XVI
Ainsi de ce parterre à quatre compartiments dont le dessin est précis sur un plan datant de mai 1804 et récemment retrouvé à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Il correspond à un état Louis XVI – celui de référence pour les restaurations sur le domaine – après bien des modifications.
Au temps de Louis XIV, l’espace avait été créé sous la forme de huit pièces de gazon entourées d’encadrements fleuris. Ce premier « parterre des Marronniers » fut conçu vers 1696 par Jules Hardouin-Mansart et est bien connu grâce à un tableau de Charles Chatelain1, peint en 1713. « Par sa géométrie de gazon, le parterre des Marronniers marqua l’histoire des jardins du XVIIIe siècle, en France comme en Angleterre », raconte Jacques Moulin2, l’architecte en chef des Monuments historiques en charge du projet de restitution du parterre, qui s’est référé au plan de 1804 pour en dessiner les contours et en diriger l’exécution.
Lors de la grande replantation de l’ensemble du domaine des années 1770, Richard Mique reprit, en effet, le tracé des jardins de Trianon. Tout en renouvelant leur organisation globale, il redessina des parterres plus simples d’entretien où le gazon l’emporta sur les fleurs, dont celui-ci. « Le nouveau jardin fut régulièrement entretenu jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et traversa la Révolution sans dépréciation majeure, précise Jacques Moulin. Jusqu’en 1805, il bénéficia même de l’attention discrète mais constante du jardinier Antoine Richard, qui avait participé à la replantation. » Aujourd’hui, ce « parterre des Quatre Nymphes » restitué redonne du lustre à des lieux insignes, en complément de la restauration du bassin du même nom et de la salle des Antiques, situés juste au-dessus.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
Parterre restitué avec le soutien de Van Cleef & Arpels.
1 Promenade de Louis XIV au Grand Trianon, par Charles Chatelain, 1713.
2 Jacques Moulin, « Les jardins du Grand Trianon de Michel Le Bouteux à Richard Mique », Bulletin monumental, t. 175-2, 2017, article qui remet l’intervention de Le Nôtre sur le domaine de Trianon à sa juste place.
Des gabarits en bois pour délimiter les formes
L’équipe des jardiniers de Trianon a travaillé avec des élèves du lycée professionnel Fernand Léger de Rouen, qui ont fourni des gabarits en bois à la bonne échelle permettant de projeter sur le terrain les contours de ces « pièces coupées de gazon » à l’aide de fiches plantées à intervalles réguliers. Puis les voliges ont été posées, courbées à la main et fixées au sol à l’aide de plaquettes. Leur hauteur, d’une dizaine de centimètres, permet de contenir la terre et l’herbe enracinée. Elle a été réduite par comblement, le terrain initial étant ensuite recouvert de gravier, puis d’un sable blanc.
À PARCOURIR
Les jardins du Grand Trianon ouverts, en haute saison, tous les jours, sauf le lundi et 1er mai, de 12 h à 19 h 30.