Le magazine trimestriel Château de Versailles. De l’Ancien Régime à nos jours vous offre l’extrait d’un article écrit par un spécialiste sur un aspect méconnu de la vie à la Cour. Ce semestre : le vin à Versailles.
« À boire pour le Roi ! » C’est à ce cri, lancé par le gentilhomme servant faisant office d’échanson, que se mettait en place le rituel du service de la boisson lors du Grand Couvert. Le vin et l’eau du roi étaient alors portés cérémonieusement à la table du souverain. Après que l’on ait vérifié que les carafes ne contenaient aucun poison, le souverain se servait lui-même, buvait, puis rendait son verre, pour que l’ensemble fût rapporté au buffet préparé à cet effet. […]
L’approvisionnement en vin du roi et de la cour
L’achat du vin de la cour était sous la responsabilité du grand Maître de France. Charge la plus prestigieuse de la Maison civile du roi, elle était, à Versailles, dévolue aux princes de Condé. Ils avaient, notamment, la haute main sur « la Bouche », département qui s’occupe des tables des princes et de leurs commensaux. Pour acheter le vin, comme pour le preste, le grand Maître passait contrat devant notaire. Dans ce document on définissait, les quantités à fournir, à un prix prédéterminé selon le type de produit attendu, depuis ce qui était destiné au roi, jusqu’au vin du commun. […]
Le stockage du vin
Les chais et celliers des marchands étaient installés aux endroits les plus pratiques, à proximité des ports de Paris, la Seine permettant aux vins en provenance de Champagne ou de Bourgogne de remonter vers la capitale. Ainsi une halle aux vins fut-elle construite quai Saint-Bernard.
Mais, le roi s’installant à Versailles, c’est à Sèvres […] qu’un des Douze marchands privilégiés suivant la Cour, Louis Darboulin, établira des caves qui existent toujours, près de l’église Saint-Romain1. On apportait vers le Château ce qui était nécessaire, car lui-même était dépourvu de lieux pour stocker longtemps des pièces de vin.
Claude Tribouleau, autre marchand privilégié des Douze, eut, quant à lui, un dépôt situé rue des Récollets, juste derrière le Grand Commun, près du Château. […]
Sous Louis XV, à partir de 1740, une réserve de bouteilles fut installée dans le sous-sol du bâtiment qui donne sur la petite cour du Roi. Elle présentait l’avantage de se trouver non loin de son Petit Appartement, où étaient situées ses salles à manger et ses cuisines. On pouvait facilement les rejoindre par le degré réservé au souverain.
Ce n’est qu’en 1775, sous Louis XVI, que sept réserves seront installées parmi les cinquante-huit caves voûtées du Grand Commun. Un état des caves du roi datant de 1782 nous apprend leur disposition. Elles étaient numérotées et organisées en casiers. […]
Le Grand CouvertÀ Versailles, lorsqu’on parle des repas royaux, on pense, en premier lieu, aux repas de cérémonie que le roi prenait en public, dans l’antichambre du Grand Couvert. Leur rituel ne néglige pas le service du vin. Au moment-même où l’on dressait le couvert du roi, était installé un buffet qui restait constamment sous la garde des officiers d’échansonnerie, dès l’instant où l’on apportait le nécessaire à la boisson, jusqu’à la fin du repas.
Le verre royal était couvert, tant pour le maintenir propre que pour éviter tout risque d’empoisonnement. Il était déposé sur un plateau d’or, accompagné de deux carafes de cristal, l’une remplie d’eau fraîche et l’autre de vin. Afin de pratiquer l’essai permettant de vérifier que la boisson pouvait être consommée par le Prince, on y adjoignait deux tasses en vermeil. […]
Origine des vins
Quels étaient les vins achetés pour Versailles ? Les sources nous permettant de répondre à cette question sont variées. Les inventaires après décès des marchands de vin qui approvisionnaient la Bouche du roi donnent des indications précieuses. On en trouve aussi dans les récapitulatifs de dépenses dressés par le Premier Valet de chambre, à l’occasion des repas pris dans les espaces relevant de la chambre. Enfin, dans les papiers du grand Maître de France, existe un inventaire de la « cave du roi2 ». Il a été rédigé le 15 novembre 1782 et revu en 1784. Le sommaire classe le vin par provenance et renvoie à des pages sur lesquelles figure un compte précis. D’après ces différentes sources, on voit que les crus sont largement originaires de France, mais aussi d’Allemagne, d’Afrique du Sud, de Madère, de Hongrie et d’Espagne. […]
Le vin tenait donc une place primordiale dans l’économie gastronomique de la cour de Versailles : à cela plusieurs raisons. Tout d’abord, il était indispensable à tout repas. On le considérait en quelque sorte comme ce que l’on appelle aujourd’hui un « alicament ». Selon ce que l’on faisait, selon ce que les médecins prescrivaient, on pouvait être amené à boire un vin plutôt qu’un autre. Ensuite, il était synonyme de prestige et de richesse. Plus il provenait de vignobles de renom ou d’exception, plus la table royale ou celle des invités du Prince en ressortait admirée. Enfin, le vin était aussi considéré comme une espèce liturgique. Présent dans le verre du Roi Très Chrétien, il apportait une dimension mystique au service de la boisson lors des repas de cérémonie. Le roi de France était en effet le seul laïc qui avait, à l’époque, le privilège canonique de pouvoir communier au sang du Christ le jour de son sacre. Et le rituel accompli par les officiers du Gobelet n’était pas sans rappeler la manipulation du ciboire et des burettes à la messe. Jusque dans un geste aussi quotidien que le repas, le roi de France rappelait qu’il était l’Oint du Seigneur.
Alexandre Loire,
auteur de La Maison militaire du roi, prestige et valeur à la cour de Versailles et Les sacres des rois de France.
1. Elles sont fermées au public car enfouies sous des immeubles d’habitation élevés dans les années 1980.
2. O1 793 nº 202
La revue Château de Versailles
Retrouverez l’intégralité de cet article et bien d’autres dans le numéro 13 de la revue Château de Versailles avril - juin 2014. La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château : boutique-chateauversailles.fr