Facile de loger, dans les recoins de l’immense château, quelques postes d’observation discrets… Ne se faisant aucune illusion
sur la déférence affectée de ses courtisans, Louis XV,
comme le fera aussi plus tard Louis XVI,
ne s’en est pas privé.
Extrait de l’article « Les observatoires privés de Louis XV »
dans la revue Château de Versailles n°42.
Dans la sphère intime de ses intérieurs, quand sa maîtresse ou ses valets de chambre l’informaient des dernières nouvelles, Louis XV les écoutait ; mais sur le fond, et pour se forger une opinion sur la société qui gravitait autour de sa personne, il ne comptait vraiment que sur lui-même. Pour cela, en grand secret, il s’était constitué des postes d’observation d’où, à l’insu de tous, il pouvait intercepter quelques scènes révélatrices, voire certaines bribes de conversations.
L’Observatoire des terrasses
Tout commence en 1732 – Louis XV est alors âgé de vingt-deux ans –, à proximité des laboratoires qu’il s’est fait aménager à la hauteur des combles de la cour des Cerfs et de la cour de Marbre pour ses expériences de physique et de chimie […]. Ces laboratoires, qui ne consistent alors qu’en deux ou trois petites pièces, s’ouvrent du côté de la cour des Cerfs sur une large terrasse ornée de treillages et de jardinières fleuries. En retour de cette terrasse se glisse une longue coursive qui, dissimulée au revers des toitures de la cour de Marbre, aboutit à un podium que l’on nomme « la Terrasse haute », située à l’angle de la cour de Marbre et de la Cour royale. Ce podium, surélevé de quatre marches, long de 4,40 m et large de 2,90 m, est un belvédère de plein air où le Roi peut se tenir, caché à mi-corps par le revers des toitures, pour observer les allées et venues de quiconque circule dans les cours. En 1736, estimant ce belvédère trop exigu, Louis XV le fait prolonger par un second, beaucoup plus étendu puisque celui-ci, discrètement encaissé entre les toitures de la Cour royale et celle de l’escalier des Ambassadeurs, développe son champ d’observation sur une longueur d’environ 24 m. Cela dure jusqu’au moment où les laboratoires du Roi se voient remplacés par d’envahissantes cuisines. Les observatoires deviennent peu à peu des espaces de circulation affectés au personnel […].
La « Jalousie » de la Grande Galerie
Pour Louis XV, la perte de ses observatoires n’est qu’un moindre mal, puisqu’il peut y suppléer en se reportant, à l’étage au-dessous, derrière les lucarnes de son Petit Appartement sur la cour de Marbre ou derrière celles des nouveaux laboratoires qu’il s’était fait aménager sur la Cour royale […]. De plus et surtout, depuis 1738, il s’est créé un nouveau poste d’observation qui, bien plus ciblé que le précédent, lui permet de plonger le regard dans la Grande Galerie, sans sortir de ses Petits Appartements. Comme pour son ancien Observatoire des terrasses, l’idée lui en est venue indirectement, suite à la création de la salle à manger et de la petite galerie pour le jeu qu’il s’est fait agencer en 1735 dans les mansardes de la cour de Marbre. À ce moment, il ne pensait pas encore y adjoindre un lieu d’observation ; et pas plus en 1736 lorsqu’il fait ajouter deux petites pièces supplémentaires vers la cour des Cerfs, dans le prolongement de sa petite galerie du jeu. Ces deux nouvelles petites pièces […] se trouvent au-dessus de l’ancien cabinet des Perruques de Louis XIV, c’est-à-dire à proximité immédiate de la Grande Galerie. La plus grande (21 m²) est un cabinet privé éclairé par deux fenêtres sur la cour des Cerfs, alors que l’autre (9 m²), adossée au mur mitoyen à la Grande Galerie et dépourvue de toute ouverture vers l’extérieur, ne reçoit qu’une pauvre lumière indirecte au moyen de la porte vitrée communiquant avec le cabinet privé. Cette seconde pièce est la « Garde-Robe à chaise du Roy ». […] C’est donc dans un second temps, en 1738, que Louis XV conçoit l’idée que cette pièce, tout en conservant sa fonction de chaise d’affaires, devienne une retraite confortable où il peut s’isoler à son gré, avec l’arrière-pensée d’en faire un poste d’observation…
Surveillance depuis une « chaise d’affaires »
À cette fin, il y fait faire de grandes transformations. D’abord, comme le plafond de la pièce est beaucoup trop bas (2,27 m), il le fait surélever de deux pieds afin de lui donner la hauteur plus convenable de 2,92 m. Cela étant fait, il fait revêtir les parois d’un superbe lambris sculpté et verni en couleurs. Sur la face de gauche en entrant, la cheminée est encadrée par deux petits placards, tandis que sur la face opposée, un retrait du lambris affecte la forme d’une niche très large, mais peu profonde pour la chaise d’affaires du Roi, laquelle est « de bois de palissandre avec sa lunette garnie de velours ». […] En vis-à-vis, c’est-à-dire contre le gros mur mitoyen à la Grande Galerie, sont disposés deux autres renfoncements symétriques. L’un d’eux est aveugle, alors que l’autre s’ouvre sur un tambour qui, creusé dans l’épaisseur du mur de la Galerie, est percé, au fond, par un jour de souffrance offrant la vue plongeante que le Roi voulait pour observer les allées et venues du public circulant dans la Galerie. […] Cela durera […] jusqu’en 1755, date à laquelle Louis XV, pour agrandir le cabinet du Conseil, est amené à faire démolir le vieux cabinet des Perruques de Louis XIV […].
« C’est donc à ce moment que le pot aux roses est découvert par les ouvriers qui démontent la Jalousie puis bouchent l’ouverture. »
C’est donc à ce moment que le pot aux roses est découvert par les ouvriers qui démontent la Jalousie puis bouchent l’ouverture. Finalement, le garde des magasins du château, chargé d’entreposer les matériaux issus des démolitions, note dans son registre : « 18 octobre 1755, rentré en magasin deux glaces blanches provenantes de la jalousie d’un petit cabinet du Roy qui avait vue dans la Grande Galerie ; deux en triangle de chacune 20 pouces sur 30 pouces. » Soit 0,54 m x 0,81 m, ce qui s’adapte bien aux dimensions de la glace en triangle curviligne à droite du cintre de la cinquième arcade1 de la Grande Galerie.
Jean-Claude Le Guillou,
historien
1 En comptant à partir du salon de la Guerre, l’ingénieux dispositif (dit « Jalousie ») étant constitué d’un double vitrage garni d’un store intérieur.
À LIRE
La revue Château de Versailles
Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 42 de la revue Château de Versailles (juillet-septembre 2021). La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château : boutique-chateauversailles.fr
À VOIR
Exposition Louis XV, passions d’un roi
jusqu’au 19 février 2023
Château de Versailles, salles d’Afrique et de Crimée
Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17h30 (dernière admission à 17 h).
Billets : Accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
Commissariat :
Yves Carlier, conservateur général du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Scénographie : Martin Michel
Autour de l’exposition
Visites guidées de l’exposition, ainsi que la visite guidée « Chez madame Du Barry, dame de Cour et de cœur » qui mène à son appartement, de nouveau rouvert au public.
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr
Visites en famille : Plusieurs activités sont proposées
Un livret-jeu gratuit pour les 6-12 ans, disponible à l’entrée de l’exposition ou sur chateauversailles.fr
Un parcours audio, disponible dans l’audioguide du Château et sur l’application mobile onelink.to/chateau
Cycle d’activités proposé aux 18-30 ans et aux détenteurs du Pass Culture.
Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes
À LIRE / À ÉCOUTER
Le catalogue de l’exposition, sous la direction d’Hélène Delalex et Yves Carlier. Château de Versailles / éd. In Fine, 2022, 24 × 30 cm, 496 p., 49 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr
Une playlist « Louis XV » : Parcourez l’exposition en musique, au rythme du XVIIIe siècle, grâce à cette sélection musicale, disponible gratuitement sur la plateforme d’écoute Deezer.
Une série de podcasts sur Louis XV et les sciences, disponible sur chateauversailles.fr et sur la chaîne YouTube du Château.