magazine du château de versailles

Dans les allées
du Jardin du Parfumeur

Loin du gigantisme des terrasses et des perspectives, loin des parterres engoncés dans leurs dentelles de buis, s’est déployé, dans le domaine de Trianon, un jardin plus intime qui obéit à un seul maître :
le pouvoir odoriférant.

Derrière les allées en fleurs du jardin des curiosités, la façade de l’orangerie de Châteauneuf. © EPV / Didier Saulnier

Devant l’orangerie de Châteauneuf, le principal enclos, appelé « jardin des curiosités », est conçu comme une palette, sous forme de plates-bandes, où venir découvrir ces plantes qui détiennent les secrets du parfum. « Ce sont elles qui ont inventé les senteurs, en rivalisant d’ingéniosité pour attirer oiseaux et insectes nécessaires à leur pollinisation. Et l’on ne sait toujours pas faire mieux ! », s’enthousiasme Alain Baraton, à la tête des jardiniers du domaine.

Vue aérienne du jardin des curiosités, conçu sous forme de plates-bandes. On distingue une serre
enterrée ancienne qui a été restaurée. © EPV / Thomas Garnier

Pour mener à bien ce projet, le château de Versailles s’est appuyé sur l’expertise d’un virtuose, qui fréquente ses jardins depuis sa formation à l’école de parfumerie de la cité royale. Dès 2006, Francis Kurkdjian réalise une première installation olfactive sur le parterre de l’orangerie, puis enchante les Grandes Eaux nocturnes de 2007 et 2008 avec des milliers de bulles aux effluves de fraise, de poire et de melon, fruits préférés de Louis XIV. Le bosquet des Trois Fontaines et celui de la Salle de bal sont, à leur tour, étourdis par ses créations… C’est donc naturellement que le parfumeur s’est porté mécène, à travers sa Maison éponyme fondée avec Marc Chaya, pour établir une liste de plus de trois cents espèces de plantes odoriférantes.

Un lys du jardin. © EPV / Sébastien Giles

Fleurs bavardes et muettes

Attention, néanmoins, à bien discerner les fleurs qui embaument et se donnent généreusement – telles les roses Centifolia – des plantes qui font cadeau de certains de leurs atours – racines des iris, feuilles de la menthe, écorces des agrumes – sans forcément sentir bon, et enfin, des muses, celles qui inspirent le parfumeur sans céder une once de leur fragile constitution. Ce sont des fleurs dites muettes, « odorantes à l’état naturel, mais qui ne livrent aucune substance utilisable et dont la fragrance doit être entièrement recomposée. C’est le cas des lys, des pivoines ou encore du muguet, des plantes dont les notes sont fréquentes en parfumerie et dont la reconstitution en laboratoire révèle tout un savoir-faire », explique Francis Kurkdjian.

Vue du « jardin secret ». © EPV / Thomas Garnier

À côté du jardin des curiosités, une allée « sous les arbres » et un verger favorisent la promenade bucolique tandis qu’un « jardin secret » semi-ombragé abrite des espèces vivaces et singulières comme des orchidées ou des lys géants d’Himalaya. La composition de ces lieux s’est élaborée en collaboration étroite avec les jardiniers du domaine, sous la houlette de Giovanni Delu : « Le grand défi était de pouvoir en permanence présenter un ensemble cohérent, en floraison sur toute sa surface, raconte-t-il, afin que les visiteurs puissent déambuler de plante en plante quel que soit le jour. Vive les rosiers, qui s’épanouissent tout au long de la belle saison ! »

Parfum et souvenirs

Tout comme les rosiers, dont les fleurs ont été tant célébrées dans la peinture classique, le jeune jardinier se félicite que l’on ait pu mettre à l’honneur les orangers, dont Louis XIV raffolait. Il relie ce projet à la grande histoire, mais aussi à celle de chacun d’entre nous : « Parmi les cinq sens, l’odorat est le plus discret, souvent oublié. Pourtant, n’est-ce pas lui qui fixe nos souvenirs ? » Francis Kurkdjian invoque de même le temps passé pour expliquer le mécénat de sa maison : « J’ai souhaité rendre à Versailles ce que Versailles m’a apporté comme inspiration et émerveillement. » Vous aussi, vous n’avez plus qu’à pousser la porte du Jardin du Parfumeur pour vous retrouver avec votre propre histoire.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°24 (avril-septembre 2024).


Découverte des lieux par des visiteurs en compagnie de Fulvia Grandizio qui fait partie de l’équipe des jardiniers. © EPV / Didier Saulnier

Un nouveau rendez-vous aux jardins

Ouvert en mai 2023, le Jardin du Parfumeur, situé dans la partie privée du domaine de Trianon, est accessible dans le cadre d’activités organisées. Visites commentées par un conférencier, promenades méditatives, ateliers sensoriels et artistiques ou événements ponctuels offrent autant d’occasions d’en apprécier la richesse, parfois au contact direct des jardiniers qui en prennent soin. L’année dernière, environ 6 100 visiteurs ont été ainsi accueillis, dont 1 500 scolaires et plus de 300 familles. 2 300 personnes s’y sont rendues lors des Rendez-vous aux jardins dont la prochaine édition se déroulera les 1er et 2 juin.


À HUMER

Le Jardin du Parfumeur
Détails des visites proposées au public sur chateauversailles.fr/preparer-ma-visite

Le parterre haut du Grand Trianon, cet été, en écho au Jardin du Parfumeur.


Plan du jardin du Trianon de porcelaine [détail], anonyme, 1679. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux
Attribué à Michel Lebouteux, ce plan montre l’organisation des jardins au pied du Trianon de porcelaine, avec le pavillon des Parfums construit au nord, à droite des parterres sur le plan.

Effluves historiques

Le lien entre Trianon et le parfum remonte à la fondation du domaine, lorsque fut construit le Trianon de porcelaine et aménagé son jardin, dès 1668, doté de deux grands parterres fleuris dont le plus éloigné était comparé par Félibien comme « le séjour ordinaire du Printemps ; car en quelque saison qu’on y aille, il est enrichi de toutes sortes de fleurs ; et l’air qu’on y respire est toujours parfumé de celles des jasmins et des orangers sous lesquels on se promène ». Certains de ces orangers sont même plantés en pleine terre sur des banquettes qui permettent de s’asseoir à proximité pour profiter de leur fragrance1. En 1671, un sixième bâtiment vient compléter l’ensemble du château au nord de ces fameux parterres : destiné à leur préparation, il est appelé « pavillon des Parfums ». En 1686 est rapportée par Le Mercure galant la promenade à Trianon des ambassadeurs du roi de Siam qui y « admirèrent la manière de parfumer avec les fleurs ».
La tradition fleuriste et odoriférante du domaine se poursuit avec l’édification du Trianon de marbre et l’agrandissement des jardins. Ainsi Madame de Maintenon raconte-t-elle, en 1689, dans une lettre, que « les tubéreuses [nous] font abandonner Trianon, tous les soirs, de trop bonne heure » à cause de « l’excès du parfum ». En 1702, c’est au tour du duc de Saint-Simon de raconter avoir vu « le roi et toute la Cour quitter [les parterres de Trianon] à force de tubéreuses, dont l’odeur embaumait l’air, mais était si forte que personne ne put tenir dans les jardins, quoique très vastes et en terrasse sur un bras du canal ». Parmi les fleurs présentes, figurent celles de l’oranger et du jasmin, mais aussi les narcisses et les jacinthes, aux exhalaisons de printemps, ainsi que les juliennes doubles, œillets, giroflées, lys et, bien sûr, ces fameuses tubéreuses, aux effluves enivrants, les soirs d’été2. « Dans la saison des fleurs, tout y est parfumé, et l’on n’y respire que violettes, qu’oranges et que jasmins », confirme Piganiol de La Force en 1713, avant que les fleurissements passent de mode et laissent la place à des parterres plus sobres.

1 Jacques Moulin, Trianon et le hameau de la Reine, Paris, éd. Flammarion / château de Versailles, 2019, p. 34.
2 Gabriela Lamy, « Culture des fleurs au Grand Trianon », in Fleurs du roi : peintures, vélins et parterres du Grand Trianon, Paris, éd. Artlys / château de Versailles, 2013, p. 77.

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