Cet été, le château de Versailles a été le théâtre d’un événement planétaire. Le monde entier a eu les yeux rivés sur la perspective du Grand Canal autour duquel se sont déroulées les épreuves d’équitation ainsi que celles du pentathlon moderne. Louis-Samuel Berger, en charge de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques au château, raconte.
15 mai 2017. Un ballon s’élève lentement au-dessus de l’Étoile royale. En cette après-midi claire, seul le bruit de la torchère vient troubler le silence des futaies du parc. À son bord, sur le commentaire de Catherine Pégard, alors présidente du château de Versailles, une délégation du Comité international olympique découvre le Grand Canal et, au loin, la façade étirée du palais. Vingt-trois hectares en eau, ceints par le plus beau château du monde !
La perspective stupéfie les spectateurs. L’expérience sera déterminante dans la décision des autorités sportives de confier à Paris l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
Dans la lignée des écuyers du roi
Versailles tient toujours ses promesses. Sept ans plus tard, la carte maîtresse de la candidature française s’est révélée un joyau des olympiades en acte. Il est vrai que le domaine national, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, formait un écrin idéal pour l’équitation : une tradition française, qui s’est élaborée dans les Écuries du roi, comme l’ont rappelé les rencontres internationales organisées au château fin septembre1.
Cheval de guerre, de peine ou d’agrément, la plus noble conquête de l’homme est partout à Versailles : dans ses collections, dans ses décors, dans son architecture, dans le profil de sa topographie. La maîtrise et le panache des écuyers du roi participaient du rayonnement de la monarchie ; à la veille de la Révolution, 2 300 chevaux peuplaient le domaine. Dès lors, accueillir dans cette carrière historique les 200 athlètes appelés à se mesurer dans 15 épreuves de dressage, de saut d’obstacles, de concours complet et de pentathlon moderne relevait, presque, de l’évidence.
Presque. Une équipe « commando » de 15 collaborateurs, des partenaires par dizaines, plus de 300 réunions techniques, 14 000 m3 de terre déplacée et 36 mois de travail furent nécessaires pour que, d’une ambition, surgisse le réel : ce que le monde a appelé « la parenthèse enchantée des Jeux ».
Quarante mille spectateurs autour d’épreuves grandioses
L’épreuve de cross-country, le 28 juillet, en a cristallisé le premier temps fort à Versailles. Quarante mille spectateurs, guidés par 200 bénévoles en ville et 1 500 sur site, ont conflué vers le Grand Canal, venus des trois gares de Versailles par la grille d’honneur, la grille de Choisy, la grille de la Reine ou la porte Saint-Antoine. Comme si tous les chemins menaient ce jour-là non pas à l’antique Rome, mais à Versailles.
Il faut dire que le spectacle promis avait de quoi attirer : dès 10 h 30, et pendant cinq heures, 65 cavaliers représentant 26 nations différentes se sont élancés sur la piste de galop longue de 5,3 kilomètres et semée de 27 obstacles, dont 3 gués. Le public, curieux et passionné, a applaudi aux sauts des chevaux dans le bassin de la Ménagerie aménagé pour l’occasion, et s’est émerveillé du passage des montures sur le Grand Canal, le traversant à deux reprises comme si elles cavalaient sur l’eau. L’épreuve reine du concours complet avait le charme anglais d’une garden-party, investie par une foule venue en famille, déambulant d’un obstacle à l’autre. Mais c’est en patriote qu’à l’issue des trois jours de compétition, celle-ci a acclamé l’équipe française décrochant la deuxième place du concours complet. De nouveau, Versailles était meublé d’argent…
Silence complet à l’Étoile royale
C’est une tout autre ambiance, attentive et comme ouatée, qui a émané des épreuves de dressage et de saut d’obstacles. La précision et la délicatesse de l’une, la cadence et le risque pour l’autre, rien ne devait affecter l’équilibre réglé des cavaliers et de leurs montures. Centaures, dont aucun cri, aucune agitation dans le public ne contredit la fusion. Dans l’amphithéâtre de l’Étoile royale, seize mille spectateurs étonnamment mutiques ont admiré cercles et demi-voltes, diagonales et serpentines, agitant les mains pour applaudir la para-équitation. Au saut d’obstacles, ils retenaient leur souffle au franchissement des barres, se soulevant eux-mêmes pour aider l’animal, avant que leurs applaudissements brisent le silence au terme du parcours. L’équitation nous est ainsi donnée, qui fait succéder l’élégance à la puissance.
C’est en larmes que Chiara Zenati, Française de vingt et un ans, hémiplégique de naissance, a quitté l’épreuve libre de para-dressage au pied du podium alors que, comme un clin d’œil adressé à la statue équestre de Louis XIV à l’autre bout de la perspective, sur la place d’Armes, les compétiteurs français au saut d’obstacles se revêtaient de bronze.
Ovations et émotion
Le Grand Roi aimait les jeux et l’antique. Qu’aurait-il pensé de l’aire de compétition transformée en arène par les pentathlètes modernes ? 36 femmes, 36 hommes, concourant au long de 5 épreuves : équitation (pour la dernière fois), tir, natation, escrime et course à pied. Des championnes et des champions complets, figures sportives de « l’honnête homme » du XVIIe siècle. L’assistance ne s’y est pas trompée. Surchauffées, secouées de olas, les tribunes elles-mêmes semblaient un Colisée – Rome, encore – quand elles ont ovationné la Française Élodie Clouvel, médaillée d’argent dans ce cadre royal.
Variation des épreuves, différence des palmarès, mais même émotion. Palpable. Jamais plus qu’à l’été 2024, l’équitation n’aura été autant suivie, célébrée, plébiscitée. On a dit de Versailles qu’il était l’utopie d’un roi. D’un songe, l’autre : par leur sensibilité, leur fièvre et leur éclat, ces Jeux olympiques et paralympiques furent un rêve éveillé.
Louis-Samuel Berger,
administrateur général adjoint de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, en charge des Jeux olympiques et paralympiques
1 « Versailles et la culture équestre, d’hier à aujourd’hui », les 25, 26 et 27 septembre dernier.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).